Une passionnante conférence sur De Gasperi, l’un des pères de la construction européenne. C’est dans le cadre prestigieux de la salle des sessions de l’Hôtel du département que Carlo Cifronti donnait le mercredi 27 septembre une conférence sur « Alcide De Gasperi (1881-1954), l’un des pères de la construction européenne ».
Invité par le Mouvement européen et par la Dante, Carlo Cifronti est bien connu au Puy, où il est venu très souvent. Bien avant d’être élu maire de notre ville jumelle de Brugherio en 1999 (il sera réélu et occupera cette charge jusqu’en 2009), Carlo Cifronti avait noué des liens d’amitié avec notre ville. Très jeune intéressé par la politique, engagé dans des actions de bénévolat (après la catastrophique inondation de1966, il a participé aux travaux de déblaiement de Florence), occupant des fonctions associatives et municipales parallèlement à son métier de professeur de français en lycée (il a été l’un des créateurs de la Bibliothèque municipale de Brugherio), il était logique que Carlo Cifronti soit l’un des artisans du jumelage entre nos deux villes, précédé par une longue période de « fiançailles » avant d’aboutir au « mariage » en 1988. Il fit partie du Comitato scambi de 1975 à 1995 et en fut même président pendant une dizaine d’années. Toujours là pour accueillir les groupes français en déplacement à Brugherio, délégations municipales bien sûr, mais aussi associations et élèves en voyage scolaire, toujours prêt à répondre aux invitations officielles ou privées venant du Puy, on ne compte plus les occasions de rencontres où, quelle que soit sa position, il a toujours montré la même simplicité, la même chaleur, la même disponibilité. Ce passionné de jeu d’échecs, de jazz, de montagne et de voyages, est un homme engagé dans des causes humanitaires, sociales et culturelles, italiennes et internationales. Membre de l’ARCI, l’association culturelle de Brugherio correspondante de la Dante, il donne depuis plusieurs années des cours de littérature française (en 2017/2018, Flaubert et Maupassant seront à l’honneur) dans le cadre de l’Accademia culturale universale, l’équivalent de notre Université pour tous. Il participe aussi à des groupes de recherches sur la résistance à Brugherio.
C’est un ami que nous avons eu le plaisir d’accueillir au Puy.
Il était accompagné par Gianni et Donata Marella, de vieux amis du Puy eux aussi, toujours prêts à se dévouer à la cause du jumelage et à rendre service, qui participent régulièrement aux Fêtes du Roi de l’Oiseau et connaissent Le Puy – et ses habitants ! – mieux que bien des Ponots.
Sujet d’actualité s’il en est que celui de cette conférence, à un moment où l’Europe se cherche. Un bref extrait d’un documentaire de la RAI « donnait à voir » celui qui fut un artisan de la construction européenne. Mais avant d’aborder ce sujet, Carlo Cifronti retraçait brièvement le parcours politique et humain de ce grand homme d’état. Si l’on devait le caractériser d’un adjectif, ce serait « exigeant ». Il n’est pas indifférent qu’il soit né (comme Robert Schuman d’ailleurs), dans une zone frontalière. À l’époque la région du Trentin dépendait de l’Autriche-Hongrie, et De Gasperi fit ses études à Vienne et fut, avant la première guerre mondiale, député au parlement autrichien. Après la guerre, une fois le Trentin devenu italien, en 1921 il fut élu député sur les listes du Parti populaire italien (parti d’inspiration catholique et sociale) dont il avait été l’un des fondateurs. Mais les lois « fascistissimes » de 1926 amenèrent à son arrestation et à son emprisonnement. Libéré, il travailla à la bibliothèque vaticane où il compléta sa formation. En 1942 il contribua clandestinement à la reconstitution du Parti populaire, dont il voulut faire un parti de masse sous le nom de Démocratie chrétienne. Il participa au Comité de Libération nationale et entra après la guerre dans des gouvernements de coalition, défendant des positions modérées. Président du conseil, il signa le traité de paix de 1947. En 1946, à la conférence de paix de Paris qui marquait la perte des frontières occidentales (« je sens que tout est contre moi », disait-il), il avait obtenu des aides concrètes. Le plan Marshall allait permettre à l’Italie de sortir d’une situation économique difficile. Son voyage en Amérique lui assura un succès politique intérieur certain. Deux Italie cohabitaient alors : celle vaincue du fascisme et de la guerre, et celle renaissante née de la Résistance. L’ancrage de l’Italie dans le camp occidental amena à l’expulsion des partis de gauche du gouvernement en 1947. Les élections de 1948 se déroulèrent dans un climat très tendu et virent la victoire de la DC qui obtint la majorité absolue. De grandes réformes furent entreprises. En 1949 l’Italie adhérait à l’OTAN. De Gasperi se voulait au-dessus des rivalités partisanes. Déterminé mais modéré, il se montra habile dans ses relations avec l’Eglise. En 1952 il prononça un discours sur l’Europe qui devait devenir un véritable programme unitaire dans le respect des caractères spécifiques de chaque nation. Avec Schuman, Adenauer, Jean Monnet, il fut un artisan des traités de Rome, signés après sa mort en 1957 et au lancement de la CEE. Six états étaient signataires, alors que maintenant l’Europe regroupe 28 nations. Ses interventions au Conseil européen, dont Carlo Cifronti proposa d’intéressants extraits, étaient marquées par la défense de la paix, une exigence de coopération fondée sur la liberté, la justice, le respect de la personne humaine. En 1950 était créée la CECA. De Gasperi pensait que l’Europe devait s’appuyer sur un patrimoine commun de valeurs, que l’intégration européenne devait se faire au niveau économique et social mais aussi culturel. Se posait le problème d’une monnaie unique et d’une défense européenne commune, pour laquelle De Gasperi proposa la CED. Il avait compris que les temps ne jouaient pas en faveur de l’Europe et sentait la nécessité de créer des institutions démocratiques supranationales. Pour ce projet de statut d’une communauté politique européenne, il obtint le prix Charlemagne à Aix-la-Chapelle en 1952. Il était persuadé de la nécessité de créer une mentalité et une nouvelle culture européennes. Les objectifs de la CEE étaient ambitieux : libre circulation, souci de surmonter les déséquilibres territoriaux, banque européenne d’investissements, fonds social pour la formation et la reconversion professionnelles. Mais il s’avérait difficile pour les états de renoncer à des pans importants de leur souveraineté. Dans les années 2000, avec la monnaie unique, l’abolition des frontières, le renforcement de la banque centrale, l’idée européenne connut une reprise mais elle est aujourd’hui en perte de vitesse. Les réflexions de De Gasperi apparaissent très actuelles : la contribution du continent européen à la civilisation humaine est inestimable. Le temps est venu de surmonter les contradictions, d’œuvrer pour la paix et la coopération pour éviter le retour des guerres meurtrières. Le projet avance lentement. Les historiens ont des jugements partagés : certains pensent que le temps est venu d’une nouvelle Renaissance européenne, que ce sera un passage long et difficile mais obligatoire. D’autres manifestent leurs perplexités et leurs désillusions, et estiment que l’élargissement a été trop rapide. Enfin il y a ceux qui refusent les grands systèmes mais croient en des « petits pas » vers des exigences concrètes.
Particulièrement d’actualité est la position de De Gasperi sur les religions : « Si le christianisme est à l’origine de cette civilisation européenne, je n’ai nullement l’idée d’introduire un critère confessionnel exclusif ». Le christianisme fait partie de l’héritage européen commun, est à la base d’une morale. Trois tendances : chrétienne, libérale, socialiste doivent alimenter le libre développement progressif de l’Europe. L’Homme européen doit apprendre à vivre dans une communauté plus grande où il saura défendre sa liberté mais aussi celle des autres. L’apport de Robert Schuman est essentiel : « il faut donner une âme à l’Europe ». Contre le funeste héritage des guerres européennes qui sont des guerres civiles, il n’y a que ce chemin, difficile mais seule voie de salut. Nous avons une responsabilité historique, laisser aux générations futures un monde de paix et de coopération, en défendant un patrimoine de démocratie et de liberté. « Aujourd’hui nous vivons une période de transition, de crise. Un monde meurt et un autre naît. Le seul chemin est celui de la paix et de la coopération internationale. C’est aux classes dirigeantes des pays européens, en tenant compte du courage des Schuman, des Adenauer, des De Gasperi, d’agir à la hauteur de cette responsabilité historique ».
Les questions posées à Carlo Cifronti après ce brillant exposé portaient essentiellement sur les problèmes que connaît l’Europe aujourd’hui, celui des migrants en particulier.