Depuis plusieurs années, les membres de la Dante attendaient cette destination. Florence, c’est d’abord la Renaissance italienne dans tous ses états : églises, musées et monuments, et des artistes dont le génie tient du divin. On attendait Michel-Ange, bien sûr, mais aussi Giotto, Donatello, Ghirlandaio, Filippo Lippi, Paolo Uccello, Masaccio, Andrea del Sarto, et bien d’autres encore, dont la présence éclaire les lieux les plus célèbres de la ville.
Mais Florence, c’est aussi une histoire, celle des Médicis, et les luttes incessantes pour le pouvoir, dans lesquelles s’inscrit le parcours du poète Dante Alighieri, contraint à l’exil en 1302. Séjourner à Florence revient donc à voyager dans le temps : passé et présent s’entremêlent, et l’âme du voyageur devient artiste tout en imaginant ce que pouvait être la vie des grands créateurs d’autrefois : le prestige des grands maîtres dirigeant les ateliers, le poids des commanditaires, les rivalités, les jalousies, les amitiés, les filiations entre peintres, architectes ou sculpteurs. Il fallait, certes, que les membres de la Dante pussent retrouver les sites les plus célèbres : le Ponte Vecchio, le musée des Offices, la cathédrale et son dôme spectaculaire, la piazza della Signoria. Mais on devait aussi découvrir des lieux plus intimes qui éveillent la sensibilité. Tel était le défi de ce voyage qui s’est déroulé du lundi 18 au mardi 26 février 2019 pour 48 membres de la Dante, sous la direction de Christiane Michel. Laurence Aventin, brillante guide-conférencière, a idéalement accompagné le groupe tout au long de son parcours. Précisons que cette doctoresse en histoire de l’art est une Française vivant à Florence ; elle est l’auteure d’ouvrages remarqués, et elle a récemment participé à l’émission télévisée « Des racines et des ailes ».
Une semaine sans pluie, un froid sec matinal en milieu de séjour, une affluence modérée en cette période de l’année, et deux bons hôtels, surtout le premier (Cavour, dans le centre historique, à deux pas du Duomo) : les ingrédients, météorologiques, intellectuels et matériels, étaient réunis pour garantir le succès de ce séjour. Plutôt qu’un déroulé chronologique, on a préféré ici le développement par thèmes d’intérêt : les lieux les plus « touristiques », pour commencer, puis les plus intimes, enfin toutes les activités et visites du séjour qui se sont signalées par leur originalité.
Les lieux les plus célèbres de Florence
Après un voyage d’une journée en autocar, le séjour dans un hôtel du centre historique a permis dès les premières visites de prendre connaissance des lieux dont la découverte –ou la redécouverte- était attendue. Le musée du Bargello est un ancien palais devenu plus tard le siège de la police : nous avons été sensibles aux bas-reliefs émaillés de Luca della Robbia, au David en bronze de Donatello ou au Bacchus en marbre de Michel-Ange. Le Palazzo Vecchio, l’un des monuments les plus visibles de la ville, est surmonté d’un beffroi de 90m, et se découvre après une lente déambulation parmi les statues admirables de la loggia della Signoria, bordant l’une des places les plus célèbres de la ville. A deux pas du palais gouvernemental où siégèrent les Cinq Cents puis Côme Ier de Médicis au XVI°S, se trouve, édifice monumental écrasant l’étroitesse des ruelles y conduisant, l’ensemble du Duomo : la cathédrale de Santa Maria del Fiore, le baptistère, et le campanile, habillés d’un marbre polychrome qui fait son harmonie. Le dôme célèbre dessiné par Brunelleschi a fait l’objet d’une ascension par les membres les plus courageux de notre groupe : à plus de 100 mètres du sol (presque une demi-tour Eiffel !), nous avons pu admirer le panorama illuminé de Florence à la nuit tombée.
Très proche de cet ensemble, le musée de la cathédrale a pu délivrer des œuvres moins connues du grand public : s’y trouvent les originaux des portes du baptistère de Ghiberti, l’admirable autel en argent figurant la vie de Jean-Baptiste, qui était exposé rituellement lors de la fête du Saint Patron à Florence dès le XIV°S, et les reliefs originaux du campanile figurant les arts libéraux et les arts serviles de l’atelier d’Andrea Pisano. Mais, suscitant l’admiration des 48 visiteurs, le « Zuccone » de Donatello, sa Marie-Madeleine pénitente en terre cuite et la Pietà inachevée de Michel-Ange ont été considérés comme les « phares » esthétiques de ce musée.
Une demi-journée a été consacrée à ce qui reste le premier musée de peintures de la Renaissance dans le monde : les Offices. Les commentaires exceptionnels de Laurence Aventin ont accompagné le cheminement historique que permet la succession des salles d’exposition, en commençant par les peintres primitifs, Cimabue, Giotto, Martini, Lorenzo Monaco. Puis, apparaissent les peintres renaissants du Quattrocento : Paolo Uccello, Andrea del Sarto, Fra Bartolomeo, Verrocchio et Botticelli, et ceux du Cinquecento : Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël… Enfin, dans les dernières salles, sont exposés les maniéristes, puis les baroques : Le Caravage, Titien, Rubens, Rembrandt.
A ces parcours attendus, il faut ajouter la visite du musée de l’Académie, avec la statue du David de Michel Ange, très imposante, dont l’équilibre et la grâce appellent l’émerveillement (le terme n’est pas excessif) ; dans la même salle se trouvent les quatre statues de prisonniers réalisées par le même artiste, dont nous avons retrouvé la réplique trois jours plus tard dans la grotte artificielle du jardin Boboli. Dans la casa Buonarroti, l’évolution du style de Michel-Ange est visible à travers ses œuvres de jeunesse, la Madonna della Scala et le Combat des centaures.
La découverte d’espaces intimes et parfois secrets.
C’est souvent au sein des églises que s’exalte le caractère subtil, délicat, parfois inattendu des artistes florentins. La visite de plusieurs chapelles et lieux saints était au programme. Il faut d’ailleurs préciser qu’à l’inverse d’un musée, ces lieux sont consacrés au culte avant d’être l’objet d’une admiration profane, d’où l’impossibilité dans laquelle le groupe s’est trouvé de rester longtemps dans l’église de la Santissima Annunziata, dont la splendeur marbrée date du XV°S. Nous avons pu apprécier pleinement, en revanche, l’église San Lorenzo commanditée par les Médicis. Commencée en 1420 par Brunelleschi, elle a été achevée à la génération suivante par Michelozzo et Antonio Manetti, dans un bel esprit de continuité. A deux pas, le palais Medici-Riccardi est resté celui des Médicis jusqu’en 1540, lorsque Côme Ier lui préféra le Palazzo Vecchio, suffisamment grand pour y loger la Cour. La guide Laurence Aventin a privilégié ici la visite de la chapelle, très bien conservée, avec les fresques de Benozzo Gozzoli, où s’expose dans une intensité de couleurs et de fraîcheur remarquables le cortège des rois mages auquel se mêlent les personnages des grands commanditaires de l’œuvre.
Dans le même esprit, il faudrait aussi citer l’Ospedale degli Innocenti, orphelinat qui accueillait au XVII°S jusqu’à 1500 enfants abandonnés chaque année. Au dernier étage se trouvent de belles œuvres de Ghirlandaio, Giottino, Andrea della Robbia.
Trois églises ont appelé toute l’attention du groupe. La basilique de Santa Maria Novella est en marbre polychrome comme les bâtiments du Duomo. A l’intérieur se trouvent un remarquable crucifix de Giotto, la Trinité du peintre Masaccio, les fresques du chœur de Ghirlandaio, et l’Annonciation de Pietro di Miniato (début du XIV°S). Dans le couvent (« le cloître vert »), le visiteur trouve un ensemble de fresques dont plusieurs ont souffert de l’inondation de 1966, mais aussi celles de Paolo Uccello (dans une chapelle annexe : la création du monde, puis le déluge), et celle, monumentale, de Bonaiuto sur la vie des Dominicains, mise en scène au pied de la croix. Visitée le dernier jour, l’église de Santa Croce contient des dalles funéraires, des cénotaphes et des tombeaux des grands hommes : Dante, Michel-Ange, Machiavel, Galilée, Rossini… Et les fresques des chapelles évoquant la vie des saints sont l’œuvre de grands créateurs : Giotto, Taddeo Gaddi. Peu de temps auparavant pour les visiteurs, l’église d’Orsanmichele s’était signalée comme une petite merveille, grâce au tabernacle qu’elle contient, œuvre gothique d’Orcagna datant du milieu du XV°S, avec pour retable une Vierge à l’enfant : sorte d’église à l’intérieur de l’église, dans une mise en abyme que n’auraient pas désavouée, plus tard, les artistes baroques…
Mais c’est peut-être le couvent de San Marco qui a suscité le plus de curiosité de la part du groupe de la Dante, avec les fresques de Fra Angelico représentant des scènes de l’Evangile dans les cellules des moines. Dans le même lieu, se trouvent l’espace Savonarole, mais aussi la bibliothèque du couvent, les livres-manuscrits, la vitrine des matériaux qui entrent dans la composition des couleurs… Ce lieu est une réflexion sur l’ancienne vie des moines, en même temps qu’une rêverie esthétique : Fra Angelico se signale encore par une Annonciation qui peut compter comme l’un de ses chefs-d’œuvre. Dans le même esprit s’est effectuée, un autre jour, la visite de la chapelle Brancacci dans Santa Maria del Carmine. S’y trouve une fresque en plusieurs tableaux représentant la vie de Pierre, en partant des origines de l’homme (Adam et Eve chassés du paradis originel) : l’originalité de cette œuvre tient à son étalement dans le temps, avec le relais de trois artistes qui se sont succédé durant deux générations pour achever l’œuvre : Masaccio, Masolino, puis Filippino Lippi ami de Botticelli.
Des activités originales : vers une autre vision de Florence
Parmi les curiosités, sans doute faut-il rappeler en premier lieu le musée des Pietre dure (les « pierres dures », agates, améthystes, jaspe, porphyres, assemblées pour devenir des mosaïques). Cette activité autrefois florissante, aujourd’hui confidentielle, peut être considérée comme une spécialité florentine, mal connue du grand public. Ainsi en est-il, également, des produits vendus dans l’antique pharmacie, attenante au couvent de Santa Maria Novella. Le musée archéologique, dans sa section étrusque, nous a permis d’admirer la Chimère d’Arezzo et la statue de l’Arringatore.
Le cinquième jour, l’autocar nous a pris devant l’hôtel Mediterraneo (notre second lieu de résidence, situé sur les quais), pour nous conduire dans un premier temps sur les hauteurs, où l’on contemple la ville depuis le piazzale Michelangelo. De là, il est possible d’accéder à pied à l’église de San Miniato, avec la représentation d’un Christ Pantocrator en façade et dans la coupole du transept. A l’intérieur de l’église, Laurence Aventin a appelé notre attention, quant au très beau tabernacle surmonté de scènes de l’Annonciation et de la Résurrection. Des fresques recouvrent les murs, figurant des scènes de la vie de Jésus et des évangélistes. La polychromie des marbres se retrouve sur la charpente qui remplace ici la voûte en plein cintre. On découvre également le tombeau de Jacques de Portugal, cardinal très jeune, mort à l’âge de 26 ans, alors qu’il voyageait jusqu’à Florence.
Durant la même matinée, l’autocar nous a amenés aux ruines romaines de Fiesole (théâtre et thermes antiques). A deux pas, il était possible d’accéder à pied à l’église conventuelle franciscaine, où se trouve une Annonciation remarquable, aux couleurs et à l’exécution très délicate du peintre Raffaellino del Garbo.
Pour connaître Florence sous un autre angle, rien ne vaut en effet le regard surplombant sur la ville. C’est ce qu’a permis la déambulation parmi les jardins de l’esthète et collectionneur Bardini et ceux de Boboli, dans l’Oltrano, rive gauche de l’Arno, à partir desquels le marcheur emprunte des pentes abruptes jusqu’au Forte del Belvedere, ancien bastion protégeant la ville. Par le même chemin, nous avons pu ainsi accéder progressivement au parc entourant le palais Pitti, et découvrir à l’intérieur de ce palais la Galerie Palatine.
Une autre originalité consistait à proposer une soirée opéra au Teatro musicale del maggio fiorentino, à laquelle ont participé une vingtaine de membres du voyage. Deux œuvres en un acte étaient proposées. Si l’on a pu apprécier différemment (parfois avec quelques critiques) l’œuvre de jeunesse de Jacques Offenbach (Un mari à la porte), en revanche, l’unanimité s’est faite autour du Cavalleria Rusticana de Mascagni, pièce représentative du vérisme italien de la fin du XIX°S. La mise en scène était servie par un plateau imposant (près de cent comédiens de tous âges constituant le chœur), une scénographie classique mais efficace, et de très belles voix, surtout pour l’héroïne principale (Alexia Voulgaridou, en Santuzza, très applaudie).
————————————————————–
La densité culturelle de ce séjour le rendait ambitieux, exigeant, sur le plan intellectuel et même physique : il a fallu beaucoup marcher ! Mais les efforts consentis ont été largement récompensés. Il est certain qu’un tel séjour est nettement au-dessus ce que proposent les agences de voyage… Le choix très éclairé des différents lieux de visite, et les commentaires lumineux de Laurence Aventin ont été salués de tous. Le tout s’est effectué dans une parfaite organisation, à laquelle sont habitués les membres de la Dante : un fonctionnement qui ne néglige rien des nécessités matérielles et du confort des hôtels. Il faut signaler le premier d’entre eux, qui joint l’élégance à la qualité des chambres et celle du buffet. Tout cela doit beaucoup à la préparation minutieuse de Christiane Michel, qui n’a pas compté sa peine, et à la présence de Karim, qui s’est avéré beaucoup plus qu’un chauffeur d’autocar : à la fois secrétaire, factotum, auxiliaire parfait en toutes choses, connaissant bien les membres du groupe et les secondant dans leurs démarches, depuis l’acheminement des bagages jusqu’au bon fonctionnement des récepteurs HF individuels ! Et l’on n’oubliera pas, bien sûr, une autre excellence, celle de la cuisine italienne présente dans tous les repas au restaurant ou à l’hôtel : antipasti, crostini, bruschette et ribollita, avec les pâtes dans tous leurs états, maltagliati et tagliatelle !
Texte : Alain Bosdecher
Photos : Roland Laprade, Guy Vernet