Du théâtre de Palladio à la Fenice : petite histoire des salles de spectacle en Italie.
C’est à une promenade à travers les salles de spectacle italiennes que Patrick Barbier, invité par notre association, a convié un public qui, pour la plupart, avait déjà eu l‘occasion lors des voyages musicaux organisés par la Dante de fréquenter ces lieux chargés d’histoire. Historien de la musique, Patrick Barbier a écrit quantité de livres sur l’opéra, les castrats, les cantatrices ainsi que sur les rapports entre musique et société et collaboré à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur ce sujet.
L’Italie compte le plus grand nombre de salles de spectacle et les plus belles au monde, du moins à l’intérieur, car les façades sont souvent discrètes. Les théâtres antiques avec leurs gradins étaient construits à ciel ouvert, en harmonie avec la nature. La Renaissance finissante nous laisse, à Vicence et Sabbioneta, les plus anciens théâtres fermés. Au Teatro Olimpico de Vicence, commencé par Palladio et terminé par Scamozzi, les gradins sont conservés, mais le décor fixe évoque les rues d’une ville avec sa fausse perspective. Pour son inauguration en 1585, on y donne l’Œdipe Roi de Sophocle. Le théâtre de Sabbioneta, cité idéale voulue par Vespasiano de Gonzague, œuvre aussi de Scamozzi (1588-1590), est un théâtre privé qui se situe au centre de la ville, dans un bâtiment séparé, mais il est de capacité réduite. La naissance de l’opéra à Florence et à Mantoue va tout changer, les princes doivent s’adapter à ce nouveau spectacle et à son public. Lors des festivités en l’honneur du mariage d’Henri IV et de Marie de Médicis, est jouée au palais Pitti l’Euridice de Jacopo Peri. L’Orfeo de Monteverdi l’est à Mantoue en 1607. Le théâtre de la Pilotta, à Parme, construit en bois selon le souhait de Ranuccio Farnese pour impressionner le grand-duc de Toscane Cosme II de Médicis, œuvre d’Aleotti (1618), pouvait accueillir 4500 spectateurs et offre un vaste espace libre central, pour des tournois et même des batailles navales. C’est encore un théâtre de cour. La vraie révolution vient de Venise qui, après la fermeture des théâtres privés, voit l’avènement du théâtre public payant. Elle doit faire cohabiter les différentes classes sociales tout en modifiant son répertoire. Mais attention, le public ne se mélange pas dans la salle ! Elle sera imitée au XVIIIe siècle par des salles de prestige comme le San Carlo, la Scala ou la Fenice. À Naples s’édifie par la volonté du souverain Charles de Bourbon le théâtre San Carlo. C’est le plus grand théâtre d’Europe, construit en 280 jours (1737), en forme de fer à cheval, avec six étages de loges et un parterre. C’est là que triomphe Pergolèse. À l’époque baroque, les Bibiena allongent la salle par un plan en forme de cloche (Teatro comunale de Bologne, 1763), favorisant les changements de décors. Quant au Teatro scientifico de Mantoue, terminé en 1769, c’est un joyau de l’art baroque. Il est éclairé par la lumière du jour, il n’y a pas de coulisses. On y donne des concerts, s’y tiennent des réunions scientifiques. Le jeune Mozart s’y produit. En 1778, est inaugurée la Scala (architecte Piermarini), avec l’Europa riconosciuta de Salmieri. Le spectacle, c’était aussi ce qui se passait dans les loges, que l’on pense à ce qu’en écrivait Stendhal ! En 1792 c’est le tour de la Fenice. Venise étant dans l’orbite autrichienne, son décor rouge et or est rococo. Elle a brûlé à plusieurs reprises, la dernière en 1996, mais chaque fois, comme le phénix, elle renaît de ses cendres. Sur le modèle de la salle en fer à cheval avec ses superpositions de loges, toutes les villes italiennes vont se doter d’un théâtre, et ce « théâtre à l’italienne » va se propager dans l’Europe entière.