Visconti

Le 15 Octobre 2024, au Centre Pierre Cardinal du Puy- en-Velay, à l’invitation de l’association Dante ALIGHIERI et après la projection au Ciné dyke du film « Bellisima (1951) avec la divine Anna Magnani, Hakim Fdaouch de l’institut Lumière à Lyon nous a fait découvrir ou approfondir la connaissance de l’œuvre de l’immense cinéaste qu’a été Luchino Visconti.

Luchino Visconti naît le 2 novembre 1906 à Milan et décède le 17 mars 1976 à Rome.
Aussi légendaire que ses origines aristocratiques il passe sa jeunesse au sein de la noblesse milanaise. Il assiste à de nombreux opéras à la Scala où ses parents ont une loge privée. Il connaît tout naturellement une éducation tournée vers les arts. Il rencontre les plus grands artistes de son temps : Puccini, D’Annunzio, et Coco Chanel.

Il arrive à Paris dans les années 30. Il y fait son apprentissage artistique et politique auprès de Jean Renoir qu’il rencontre grâce à Coco Chanel et dont il devient l’assistant.
Avec Jean Renoir il découvre le Front populaire. Celui-ci lui apprend à porter la douleur des classes ouvrières à l’écran. Ils tournent ensemble Les Bas-Fonds (1936) et la Partie de Campagne (1936) qui ne sortira qu’après la guerre1946.

De retour à Rome il constate que le cinéma italien est passé sous la férule de Mussolini qui, en 1943 inaugure Cinecittà, lieu de propagande fasciste et la Mostra de Venise élément central des grandes célébrations patriotiques.
Dans les années 30 et 40 régnait le cinéma des « téléphones blancs » ou  « cinéma déco » de la période fasciste né de la comédie italienne dans une version plus légère et débarrassée de tout intellectualisme et de toute critique sociale où la réalité est édulcorée. Leur thématique est principalement la romance à l’eau de rose.

Après quelques succès comme metteur en scène de théâtre et d’opéra il revient au 7ème art. En Italie, il se lie avec le groupe d’intellectuels communistes animant la revue Cinema et, à partir de 1943, soutient des actions de résistance. Il va devenir l’un des plus grands cinéastes italiens.

  • Les amants diaboliques (Ossessione) adaptation du film américain Le facteur sonne toujours deux fois (1943), archétype du cinéma néo-réaliste.

Visconti montre ce que vit le peuple En référence au cinéma américain, il utilise de grands mouvements de caméra, longs travellings. Il y dépeint le prolétariat victime du fascisme. Le cinéaste s’adapte aux conditions du lieu et des gens, les petits commerçants et les travailleurs de la basse vallée du Pô. Visconti introduit dans la dynamique de son récit des thèmes tabous comme l’adultère, le crime passionnel, le chômage, la misère, le climat policier qui règne alors dans le pays.

  • La terre tremble (la terra trema) (1948),Visconti y dénonce l’exploitation par les grossistes de petits pêcheurs sur la côte sicilienne d’après le roman vériste de Giovanni Verga. Il a pour assistant-réalisateur Francesco Rosi.

Film atypique, il fut snobé par la critique : la longueur du film – pourtant abrégé pour sa diffusion initiale –, l’obstacle de la langue (le dialecte sicilien) et la lenteur des scènes, déroutèrent le grand public et firent de La Terre tremble un incontestable échec commercial.

  • Bellissima (1951). D’un réalisme exubérant confrontant deux mondes, celui artificiel de Cinecittà et celui des immeubles des classes populaires de Rome. Anna Magnani «la diva du cinéma néo-réaliste » sert avec brio le personnage authentique souhaité par le cinéaste.

Là Visconti réussit, en plus d’un magnifique portrait de femme, à donner un jugement critique sur notre époque en dénonçant les milieux du cinéma : ce miroir aux alouettes.

« C’est nous qui mettons des illusions dans la tête des mères et des jeunes filles. Nous prenons des gens dans la rue et nous avons tort. Nous vendons un élixir d’amour8qui n’est pas un élixir… Le thème du charlatan, je ne l’ai pas mis pour toi, mais pour moi.» dit Alessandro Blasetti, réalisateur dans le film.

  • Senso (1954)

Premier film international en couleurs de Visconti, Senso est avant tout un film de guerre d’une grande violence quand il évoque l’histoire italienne pendant le Risorgimento dans la Venise occupée par les Autrichiens. Visconti cherchait une voie nouvelle, voulant rompre avec le néo réalisme Senso est un film de guerre original dans sa manière de traiter l’aveuglement des deux amants qui s’accrochent de façon dérisoire à leur passion et le destin cruel de tout un peuple en pleine défaite.

  • Rocco et ses frères (1960)Alain Delon, Annie Girardot, Renato Salvatori
    Prix spécial de la Mostra de Venise

À l’époque le néo-réalisme italien brille de ses derniers feux et la Nouvelle Vague française casse tous les schémas établis, Visconti parvient à unir les deux mouvements en un film essentiel, qui inspirera Coppola et Scorsese. Plus que Rocco, plus que les frères, Nadia interprétée par Annie Girardot est le symbole de ce film dur et sombre, où la jeunesse brûle ses ailes par peur de devoir faire face à des responsabilités trop lourdes.

Après Plein soleil de René Clément où le metteur en scène laisse A. Delon agir à sa guise. Visconti amoureux de l’acteur lui enseigne la discipline.

  • Le Guépard (Il gattopardo) (1963)obtient la palme d’or à Cannes. Au cœur du Risorgimento (1860-62) cette adaptation du best-seller de Giuseppe Tomasi di Lampedusa est une fresque historique d’une beauté quelque peu dérangeante par tant d’atours et passionnante dans son propos.

Le prince Salina (Burt Lancaster) incarne la toute puissante aristocratie déclinante et est disposé à encourager la ferveur révolutionnaire de son neveu Tancrède (A. Delon). Il organise même le mariage de Tancrède avec la belle Angelica (Claudia Cardinale), fille d’un riche propriétaire foncier. Le prince accepte cette mésalliance avec la bourgeoisie dont l’aristocratie ne pourra désormais pas se passer. Le plus bel exemple d’une époque finissante.

Les critiques accusent Luchino Visconti de prendre le parti de l’aristocratie et d’abandonner le peuple.

  • Trilogie allemande
  • Les damnés(1969)

Ascension et chute d’une famille propriétaire des plus grandes aciéries allemandes pendant la montée du nazisme. Helmut Berger, dernier amant de Visconti, y tient son premier grand rôle.

  • Mort à Venise(1971)Prix David Donatello

Adapté du roman éponyme de Thomas Mann,la quête de la beauté est au cœur du film. Aschenbach, un écrivain consacré à l’art et à l’esthétique, est consumé par son attraction pour la beauté incarnée par un adolescent, Tadzio.

Dans cette ville pourrissante cette obsession pour la beauté pure, presque divine, est une méditation sur l’attraction et les dangers de l’idéalisation.

  • Ludwig : le Crépuscule des Dieux(1973) Prix David Donatello

Splendeur et décadence c’est le troisième volet de cette trilogie. Biographie du roi Louis II de Bavière. Déçu par ses proches, trahi par Wagner dont il a été le mécène inconditionnel il sombre peu à peu dans la folie.

Dans ce dernier volet de ce qu’il appelle sa « trilogie allemande », Luchino Visconti reprend et approfondit le thème de la décadence : le déclin d’une aristocratie sous la coupe prussienne, la déchéance d’un homme fuyant la réalité à la recherche du rêve et de la beauté.

  • Violence et passion (1974) Gruppo di famiglia in un interno

L’avant dernier film de Visconti est un huis clos dans un appartement romain où un professeur en retraite vit tranquillement au milieu de ses riches collections, bouleversé par l’irruption de la marquise Brumonti qui veut louer l’étage supérieur pour y installer son amant Konrad (Helmut Berger), sa fille et son petit ami. Le professeur tente de résister à cette intrusion, mais se laisse peu à peu séduire par cette cohabitation renonçant à ses principes.

Le choix du huis-clos a été fait en raison de la dégradation de l’état de santé de Visconti qui reste en partie paralysé suite à une thrombose. Mais grâce à Burt Lancaster et à des amis fidèles le film est tourné en 1974. Le thème de la décomposition familiale est central. Le cinéaste insiste sur l‘attraction de la vulgarité. Malgré tout.

A la sortie du film des critiques ont émis l’hypothèse que le personnage du professeur était l’autoportrait de Visconti ce qu’il a démenti. Mais Burt Lancaster affirme que Visconti lui a avoué « c’est ma vie, je suis un homme très seul, je n’ai jamais su aimer »

Ce film pointe avant tout le conflit des générations. Mai 68 est passé par là. Les codes moraux ne sont plus les mêmes Il mentionne également l’actualité la plus immédiate : crainte d’un retour au fascisme, attentats d’extrême droite, coup d’état. Les Brigades rouges se distinguent par des actions violentes.

  • L’Innocent (L’Innocente)(1976), adaptation du roman éponyme de Gabrielle d’Annunzio.

Dernier film de Visconti une synthèse des thématiques de son œuvre.

Le goût de Visconti pour les grandes fresques l’a souvent amené à concevoir une mise en scène monumentale, à grands coups de décors et de costumes luxueux, pour ressusciter véritablement un monde révolu. Mais dans L’Innocent la construction est simple et extrêmement précise révélant la profonde complexité de l’histoire et la psychologie des personnages.

En adaptant ce roman (publié en 1892) de Gabriele d’Annunzio, le cinéaste voulait surtout se prouver qu’après les dures attaques de la maladie il avait encore la force de créer; déçu de n’avoir pu faire aboutir son projet de porter Proust à l’écran, il espérait pouvoir entreprendre la transposition de La Montagne magique de Thomas Man. Pour Visconti, cette œuvre qui clôt maintenant définitivement sa filmographie, représentait donc plutôt une transition.

Considéré comme son chef-d’œuvre, le film voit peu à peu l’ancien ordre disparaître au profit d’une nouvelle ère.

Du Risorgimento italien aux années de plomb, en passant par la Belle Époque et l’Allemagne nazie, le cinéma de Luchino Visconti n’a cessé de dépeindre avec brio la splendeur, la misère et les hantises d’un siècle au bord du gouffre, d’un monde toujours en sursis.

Luchino Visconti, auréolé de 4 victoires lors des Rubans d’argent du cinéma italien, est cité parmi les plus grands cinéastes transalpins de tous les temps.