Le thème de la Pietà dans l’art italien magistralement traité par Mariuccia Bertolozzi. Sujet difficile que celui de la Pietà, mais que la conférencière a su rendre abordable et passionnant pour le public réuni à l’invitation de la Dante au Centre Roger Fourneyron le 12 juin.
Une Pietà, c’est la représentation de la Vierge Marie tenant sur ses genoux son fils mort détaché de la croix. En général ils sont représentés seuls, alors que dans la déploration ou la descente de croix, d’autres personnages sont présents. Le mot « pietà » a une double signification en italien, celui de piété et celui de pitié. L’épisode ne figure pas dans les évangiles canoniques, mais est très présent dans les évangiles apocryphes et s’inscrit dans le courant de glorification de Marie, très fort dans les églises d’Orient. Il s’agit d’un moment de pur pathos, insistant à la fois sur l’injustice qui frappe le Fils et sur la cruauté du traitement infligé. Ce n’est pas un thème nouveau en ce sens que déjà dans l’antiquité, le thème de la femme et de la mère éplorées était fréquent. Que l’on pense par exemple aux pleureuses égyptiennes, à Niobé. Le concile d’Ephèse ayant affirmé la double nature du Christ, divine et humaine, c’est un homme qui souffre sur la croix, et il a une mère. Le sacrifice est le prix à payer pour la rédemption. Après la période iconoclaste de l’histoire byzantine qui prend fin en 843, une grande place est donnée à la mère du Christ. Un changement s’opère aussi dans la place des femmes avec les Croisades et l’amour courtois. Saint Bernard de Clairvaux cherche à développer le culte marial dans tout l’occident. La prophétie de Siméon qui annonce à la Vierge que son âme sera transpercée par un glaive au pied de la croix, inspire le « Stabat mater » de Jacopone da Todi. Le thème de la « mater dolorosa » et de la Vierge des sept douleurs est développé par l’ordre des Servites de Marie. Le XIIIe siècle est le siècle de la compassion, on se met à exprimer les sentiments ressentis par les proches. On représente Marie au pied de la croix. La Vierge contemple son fils mort. Les thèmes de la Pietà et de la mise au tombeau deviennent plus fréquents avec, au XIVe et XVe siècles, les grands fléaux. La Pietà est l’image de la détresse humaine. Maternité et déploration induisent une méditation de type spirituel. Marie est considérée comme le contrepoids à Eve tentatrice. Sa condition d’élue lui donne un rôle d’intermédiaire. L’enjeu de la mort du Christ, c’est la rédemption, Marie va enfanter le salut de tous. La mort du Christ est une sorte de deuxième naissance. Les représentations artistiques de ces moments forts – Marie au pied de la croix, Marie tenant son fils mort sur ses genoux, la mise au tombeau – vont diverger: désespoir, dignité, douleur paroxystique, chaque artiste réagissant avec sa propre sensibilité. Dans les Pietà médiévales le visage de Marie est déformé par la douleur, chez Donatello Marie semble vieillie d’un coup, Botticelli confère à la scène une tonalité mystique, la Contre-Réforme inscrit l’épisode dans des constructions scénographiques, le baroque donne à voir l’abandon du Christ, avec sa démesure il va nous amener à sublimer le réel, à méditer sur cette mort. L’image doit être émouvante. La Vierge connaît le sens de la mort du Christ, avec ce grand chagrin, elle doit transmettre sa foi en la Rédemption, l’humain et le divin se mêlent. La conférencière se passionne visiblement pour les différentes Pietà de Michel-Ange – celle de Saint-Pierre de Rome où la Vierge a les traits d’une jeune fille, la Pietà de Palestrina, la Pietà Bandini, et la plus émouvante peut-être, la Pietà Rondadini, non finie, où la mère soutient son fils mort. Le thème a été repris par les sculpteurs modernes, Manzù par exemple, dont la Pietà est presque inhumaine, Attilio Nani, qui actualise le thème, Francesco Rebesco, Libero Andreotti.
Le terme est devenu un nom commun. Il désigne toutes les mères en douleur, les victimes de la mafia, les mères des desaparecidos, celles des jeunes héros morts pour la patrie représentées dans des œuvres laïques comme les monuments aux morts. Le thème perd de sa sacralité, est présent par exemple dans la chorégraphie de Christophe Garcia, « 5 steps for a pieta », dans la campagne de pub de Kookaï, dans le titre du film du sud-coréen Kim-Ki-duk, « Pietà » (2012), il devient un clin d’œil…