Si la Sicile… la Sicile, si.

sicileUn fidèle sociétaire de la Dante, Jean-Claude Cardi, nous livre ses impressions de voyage en Sicile…
Ton coup de pied féroce, Botte italienne,
Enverra la Sicile, un jour, à Gibraltar.
Pour voir de ses rives, la mer Ionienne,
Nous partirons demain, avant qu’il soit trop tard.

Deux organisatrices spécialisées, Pierrette et Véronique, choisissent la Sicile comme destination de leur prochain voyage italien. Toi, tu approuves… sans pour autant apporter une contribution directe aux travaux de recherche des logements, à la détermination des itinéraires, pas plus qu’aux villes et aux sites à découvrir.

Le 8 mai, vous atterrirez à Catane. En train ou en bus, vous partirez aussitôt vers Palerme. Après quatre jours, Vous quitterez la capitale de l’île le dimanche matin pour un retour vers Catane. Le lundi vous offrira la visite de Syracuse. Le mardi sera réservé aux merveilles de Taormine. Le mercredi, vous tenterez l’escalade de l’Etna. Le jeudi, vous le réservez pour la découverte de la ville. Le retour du vendredi vous ramènera en Haute Loire après 9 jours que vous n’oublierez pas.

7 mai 2019. Le Puy Lyon. Prélude à L’Italie.
Ils s’envoleront très tôt, demain matin. Pour éviter un réveil au milieu de la nuit, elles décident de réserver un hôtel, une chambre pour trois personnes, dans l’enceinte de l’aéroport. Le temps, gris et humide, n’invite pas à la balade. Demain, c’est sûr, le soleil sicilien leur rendra ce printemps qui garde, ici, des couleurs hivernales.
La chambre n’est pas grande. La douche impose une économie calculée de tous les gestes. Leur domicile d’un soir ressemble à une cabine aux lits superposés, celle réservée aux marins ou aux touristes lors d’une croisière. Pour une courte nuit, ils ne s’en plaindront pas !
Après un repas rapide, mais correct, la voiture est conduite au parking où, sans risque et sans peur, elle attendra sagement leur retour. Il s’agit maintenant d’atteindre le terminal, en traversant, à pieds, les différents parkings solidement clôturés.
Ce n’est pas possible ! Ils cherchent une issue et ne la trouvent pas. Escalader les grilles, ce n’est pas raisonnable, ils ne l’envisagent pas ! Ils doivent donc utiliser la navette, puis revenir à l’hôtel, non pas en promeneurs ainsi que prévu (c’est trop dangereux) mais par le véhicule prévu à cet effet. Demain, très tôt, ce même véhicule les ramènera à l’aéroport.

8 mai 2019. Lyon – Catane – Palerme.
Ils se réveillent bien avant l’aurore ! Quoi de plus agréable qu’un copieux petit déjeuner pour annuler, ou oublier, ce sommeil brutalement écourté ? A 5 h 30, la navette de l’hôtel fait ronfler son moteur. L’aéroport n’est pas loin. Ils ne seront pas en retard.
Les formalités qui précèdent l’embarquement ne méritent pas que l’on s’y attarde. L’on s’y attardera pourtant. Mais il faut oublier ces petits ennuis : le déshabillage, les valises à ouvrir, les ceintures à ôter, puis à remettre, alors qu’elles refusent de filer dans les passants. Bientôt, enfin, ils s’installent dans la salle d’embarquement. L’envol ne tardera pas.
Tout contre le hublot, Pierrette a pris sa place. Le temps est à la pluie : Elle ne verra rien. Véronique s’installe à côté du couloir. Si l’on veut se lever pendant le voyage, elle n’aura qu’un pas à faire. Elle le fera. Toi, tu t’assois, comme un roi, entre ces deux reines. C’est la position que tu préfères. Une hôtesse, souriante, sympathique et charmante, discute un instant avec vous avant de mimer les gestes de survie indispensables.
Ils survivront. Ils atterrissent sous le soleil. Peu de nuage dans le ciel si ce n’est un voile de brume qui leur cache les pentes de l’Etna. Ils apprécient la douceur de la température et d’avoir pu, si promptement, récupérer leurs bagages.
Pour rejoindre la gare de Catane, un car assure la navette. L’Alibus les dépose au départ des voies ferrées. On les informe que le premier train pour Palerme démarre à 13 heure quarante. Eux, qui n’aiment pas gaspiller, surtout pas le temps, ne veulent pas perdre autant à attendre. Les bus qui effectuent la liaison souhaitée proposeront, peut être, un horaire plus avantageux.
Le départ pour Palerme est prévu à 10 heure ! Ils foncent vers les guichets, acquittent leurs billets, et montent dans le bus quelques petites minutes avant que le chauffeur lance son véhicule.
Tu t’imagines que ces deux heures quarante de parcours, ces 204 kilomètres, vont vous permettre de découvrir quelques aspects des paysages de la Sicile. Les jumelles sont dans la poche du sac. Tu ne vas pas tarder à réclamer leur concours.
Curieusement, il semble qu’ils reviennent sur un itinéraire connu : le bus qui relie Catane à Palerme dessert l’aéroport. Comment deviner qu’ils auraient pu l’attendre là ? Même le  »Routard », pourtant si bien informé, ne le précise pas.
Vous n’allez pas vous plaindre pour si peu. Ce guide si précieux va vous assurer, quotidiennement, bien d’autres services. Il sera toujours à portée de mains. Il est encore là à l’heure du compte rendu.
A la sortie de la ville, le paysage n’attire pas les regards. Pierrette et Jean Claude ont toujours un livre à portée de main. Véronique somnole. Bientôt, des vergers aux arbres chargés de fruits aux belles couleurs, décorent des coteaux au relief qui prend du caractère. Orangers ou abricotiers, comment savoir, s’étalent sur les pentes.
Parfois le rouge vif, rouge sang, d’un champ de coquelicots corrige d’un ton plus vif la douceur verdoyante des feuilles. Il est temps de poser les livres et d’admirer ce paysage montagneux où parfois quelques villages perchés, se blottissent dans ce monde aride, rude et superbe.
L’on dit que les cars, et les trains, siciliens sont souvent en retard, parfois en avance, jamais à l’heure. Ne le croyez pas ! Ils arrivent à Palerme à l’heure prévue. Ils disposent d’un bel après midi au cours de laquelle ils partiront à la recherche de leur logement, accompliront les achats nécessaires et pourront, peut-être, s’en aller à la découverte de cette belle ville.
Mais avant de mettre en application ce sage programme, il est plus sage encore de penser à se restaurer. De nombreuses échoppes offrent la possibilité de calmer leur appétit pour un prix modique. Le trio s’installe à la terrasse d’un modeste établissement qui propose un  »kebab » copieusement garni.
Sans retard, on leur apporte à table un énorme panini qui, dans sa gueule largement ouverte, enferme un grand tas de victuailles. Les appétits les plus féroces en auront pour leur faim, les porte monnaie les plus étroitement serrés n’y perdront pas l’essentiel de leur fortune.
Une vieille bicyclette posée là, attend sans doute la fin de service d’un employé. Un drôle de personnage, lourdement aviné, rode tout autour, réclame  »une petite pièce », puis, devant la stérilité de sa demande, traverse la rue au mépris de la circulation, et revient aussitôt de l’autre côté, abreuvant, lui qui a tant bu, autos et scooters de borborygmes insultants, grognés dans sa barbe.
Posté maintenant devant l’humble vélo, il en caresse la selle, puis, comme un connaisseur, saisit le guidon, vérifie le bon fonctionnement des poignées de frein, jette un coup d’œil rapide, et circulaire, puis s’en va lentement, discrètement, en poussant la machine, regardant droit devant lui en monsieur qui n’a rien à se reprocher…
Toi, il te semble que ce monsieur circulant en vélo, représente un danger pour lui même et tous les véhicules qu’il va rencontrer. Pierrette et Véronique, qui connaissent leur classique, imaginent aussitôt une nouvelle version du  »voleur de bicyclette » (Victorio De Sica). Elles, peut-être, quelqu’un d’autre aussi, ont alerté le légitime propriétaire qui intervient dans l’instant.
Sans violence, sans cri, presque en douceur, le vélo ne sera pas volé. Pour consoler le maladroit, on lui offre un panini, non garni mais parfaitement doré. Avec colère, l’aspirant cycliste démonté, déchire le panini qu’il jette au sol avec mépris, avec une rage vengeresse, puis s’en va en grommelant au risque d’être sévèrement bousculé par un véhicule.
Véronique et Jean Claude demandent un café, rapidement servi dans un minuscule gobelet en carton. Ils ne s’en plaindront pas : Ce liquide épais, noir et fort leur est gracieusement offert. Les Palermitains ont le sens de l’accueil.
Il s’agit maintenant de déterminer quel va être le chemin à suivre pour rejoindre leur résidence. Le plan proposé par le  »Routard » ne signale que les rues les plus importantes. Pas celles qui les intéressent. C’est vrai : Il pourrait héler un taxi qui les conduirait sans retard à destination. Ces marcheuses expérimentées refusent cette solution trop facile. Elles vont se débrouiller toutes seules !
Tu leur suggères d’acheter un plan de la ville dans la prochaine librairie rencontrée. Un tel achat reviendra à l’ordre du jour dès que le  »Routard » s’avérera inapproprié pour la recherche de la petite rue de leur résidence sicilienne.
La carte, nouvellement acquise est étalée largement. L’itinéraire à parcourir est établi sans trop de controverses. Il suffira de trottiner, sans se presser, traînant les valises et les sacs, pendant un peu plus d’une heure…
A hauteur du Palais de Justice, devant ses colonnes alignées, le trio constate qu’il est sur la bonne voie : le corso Camillo Finocchiaro Aprile s’ouvre devant eux comme une preuve indiscutable de la parfaite conduite à suivre, déterminée par les deux capitaines de route.
Parcourant cette belle ville, l’une des plus anciennes du bassin méditerranéen, tu imagines tous ces peuples qui ont un jour débarqué dans sa rade, apportant un air d’Afrique, des bâtisseurs grecs, des savants arabes, des empereurs germaniques et même quelques Bourbons français, Espagnols ou Napolitains.
La fatigue qui pèse lourd désormais dans tes vieilles jambes, bien plus que la valise à roulettes qui bute parfois sur les arêtes de ces larges pavés glissants, te ramène en mémoire ces sanglantes  »vêpres siciliennes » qui évoquent toute la force révoltée de cette île au volcan toujours vivant.
La minuscule via Oberdan, enfin découverte comme un trésor longtemps cherché, abrite l’immeuble où Donnatella leur hôtesse, les attend. Mais les téléphones portables français, ces merveilleux appareils à la technologie sans défaut, sont incapables de communiquer avec leurs homologues italiens. Ils doivent découvrir un moyen pour déverrouiller cette porte d’entrée insensible à leurs sonneries.
De l’autre côté de l’immeuble, un petit jardin clôturé où jouent des enfants, va peut-être leur permettre de contacter leur loueuse. Une dame souriante leur ouvre le portail et propose de téléphoner elle même. Puis les accompagne, et la porte s’ouvre enfin.
Donnatella, avec un beau sourire, les accueille devant l’ascenseur qui ne pourra pas emporter, en un seul voyage, quatre adultes, les valises et les sacs. Par droit d’aînesse, et de fatigue, Jean Claude sera de la première montée, accompagné par leur hôtesse. Elle lui demande s’il parle italien. Bien peu, il doit l’avouer, mais prétend, avec audace qu’il le comprend.
Véronique et Pierrette arriveront à point pour découvrir les lieux de leur séjour, et libérer J.C. D’une conversation difficile. Ici, tout brille d’un vif éclat. La cuisine, aux meubles sombres, étincelle sous le soleil. Tout est d’un goût irréprochable, un goût d’un autre siècle, peut être, mais d’une harmonie, d’un ensemble parfait dans tout ce grand appartement.
De la chambre de couple, la porte fenêtre s’ouvre sur un balcon. De là, la vue s’étend jusqu’à la mer ! De la cuisine, un autre balcon propose un horizon totalement différent. Ainsi, dès le réveil, au soleil ou à l’ombre, Palerme s’étalera sous leurs pieds comme une invitation à une prompte visite.
Après s’être installées, largement installées, dans leur nid palermitain, les dames s’en vont au ravitaillement. Toi, elles t’en dispensent. Tu ne t’en plains pas. Si tu comptes bien, vous avez déjà marché plus de 13 kilomètres. Elles sont infatigables, et toi, tu as besoin de repos.
Bien plus que de savoir remplir les paniers, Pierrette et Véronique composeront un menu de salade et de riz, parfaitement adapté aux appétits ouverts par toute cette longue journée, commencée aux aurores et qui paraît ne pas vouloir finir.
Ils doivent encore, avant de songer au repos, établir le programme du lendemain. Tant de belles choses sont à découvrir, qu’elles devront faire un choix et Jean Claude, tenter de marquer ses repères en ces lieux où les portes, et les pièces, sont si nombreuses.

Jeudi 9 mai. Les beautés de Palerme.
Dès le réveil, le soleil frappe aux volets, les touristes, déjà ouvrant leurs fenêtres, sont aux balcons. Ils admirent les couleurs claires de Palerme, le grand port qui lui a donné son nom, les hautes collines aux rudes reliefs qui lui font un cercle de protection, et la Corne d’Or au delà de ces montagnes.
Après un petit déjeuner savoureux, ils décident, en premier exercice, de négliger l’ascenseur et de descendre, à pieds, les huit étages de l’immeuble. Puis, afin de déterminer l’orientation à prendre, ils s’en vont d’un bon pas vers un carrefour s’ouvrant sur quatre quartiers.
Le  »quattro canti ».
Le  »Quattro Canti », quatre chansons, quatre quartiers, quatre saisons, ce lieu si bien no
mmé, s’appelle également  »Piazza dell’Ottagnono » ou, bien mieux encore  »Piazza Del Sol ». Au cours de la journée, le soleil illumine toujours au moins l’une de ses quatre façades et le cœur et l’esprit de trois touristes émerveillés.
Ces façades majestueuses, curieusement incurvées, cachent de beaux palais du XVII siècle. Ils n’auront pas la possibilité de les visiter mais s’attarderont un moment à l’observation des quatre fontaines du premier niveau, quatre fontaines quatre saisons, et aux statues orgueilleuses des monarques espagnols les toisant du haut du premier étage.
Elles sont pourtant dominées par les quatre saintes de l’étage supérieur. Le guide, rapidement consulté, vous confiera que Sainte Christine, sainte Nymphe, Sainte Olive et sainte Rosalie, remplaçante de Sainte Agathe, disposent d’un plus haut rang que ces rois disparus.
La cathédrale.
Sans perdre de temps, ils remontent désormais le corso Vittorio Emanuelle vers la cathédrale. Sous les deux arcades de la via Matteo Bonnelo, que tu prends pour des Arcs Boutants, ils lèvent les yeux vers les tours du clocher à l’architecture en dentelle.
Maintenant sur la place de la cathédrale, ils s’éloignent un peu pour saisir l’ampleur majestueuse de la façade et tenter de décrypter ce qui revient à chaque époque, chaque temps, de sa construction, celle des Arabes, le temps des rois normands, celui des restaurations ou modifications.
Sur un ancien édifice chrétien, transformé en mosquée, les premiers rois normands, à la fin du douzième siècle, ont jeté les bases de ce monument qui mériterait d’interminables descriptions dont tu n’as pas la maîtrise. Comment, alors, parler de l’intérieur des lieux ?
Les férus d’histoire ne manqueront pas de remarquer la tombe d’ Henri VI, empereur romain germanique, celle de l’impératrice Constance de Sicile, son épouse qui l’a, dit-on, empoisonné et de Frédéric II, leur fils… Les plus religieux s’attarderont en prière dans la chapelle de Sainte Rosalie, patronne de la ville, ou devant la statue de la vierge à l’enfant…
Est-ce le soleil qui vous éblouit en sortant, ou d’avoir tant vu de si belles choses que votre esprit semble un peu perdu ? On vous propose, à l’angle d’une rue, un jus de grenade promptement pressé. Le gobelet n’est pas grand. Son prix n’en tient pas compte. Quant au minuscule pot de confiture de ce fruit si précieux, tu calcules, mais n’en dis rien, que le prix, au kilo, permettrait d’acquérir plus de dix fois son volume en confiture continentale…
La Fontana Pretoria.
Réconfortés par une telle, et minuscule, consommation, Véronique et Pierrette, infatigables voyageuses, te signalent que la piazza Pretoria n’est pas très éloignée de la cathédrale. La Fontana Pretoria, troisième objectif de la matinée, suscite bien des curiosités. Vous allez en comprendre les raisons…
Elles utilisent leur plan de la ville comme des marins leur boussole dans la tempête! L’on doit, disent-elles, reprendre le corso Vittorio Emanuelle, jusqu’à la via Maqueda et la piazza Pretoria. La Fontana Pretoria n’est pas loin !
Sur les margelles blanches de marbre parfait, tu t’imagines que tu pourras, pendant quelques instants, profiter de quelques minutes de détente. Cette fontaine est d’une telle splendeur qu’elle te fera oublier répit et repos !
Divinités païennes, monstres marins, nymphes mythologiques, animaux fantastiques animent les cercles concentriques des bassins, avec une vivacité, et une nudité troublante. Des esprits chagrins, que cette nudité scandalisa, condamnèrent cette œuvre magnifique à s’appeler  »Piazza della Vergogna » (Place de la honte). Qui les approuverait encore aujourd’hui ? Ce monument fut conçu pour Florence, puis acheté par le sénat palermitain en 1555.
Ils n’auront pas la possibilité de visiter le Palazzo del Municipo, la mairie. Ils remarquent, comme une consolation, sa magnifique façade où la statue de Sainte Rosalie veille sur les monstres… Ils s’imaginent, de ce balcon, le Grand Garibaldi haranguant la foule venue l’acclamer…
Sous la porta nuova, ancienne porte du soleil, ils tournent le dos au balcon, à la fontaine, à la mairie, à la honte, et ses merveilles.
A l’heure du repas, ils s’en vont vers le port où un modeste restaurant leur propose un repas complet pour un prix sans concurrence. L’on ne peut vivre en Sicile sans déguster son café et ses glaces incomparables. Véronique, audacieusement, ose la dégustation de la sienne, servie sur une brioche ! Drôle d’innovation ! Pierrette et Jean Claude préfèrent le petit pot traditionnel copieusement servi.
Sous les grands arbres du jardin Garibaldi, ils savourent, confortablement installés sur un banc public, ces parfums glacés. Des ficus géants, ficus magnolioïdes ainsi qu’ils vont l’apprendre, aux troncs entrelacés, plantés pour célébrer le débarquement à Palerme des chemises rouges, témoignent de leur vivacité largement centenaire !
Ce jardin, où partout le libérateur est présent, ne pourra les retenir, malgré son charme verdoyant, pas plus que ces délicieuses vieilles dames anglaises venues les interroger sur ces géants de bois, de feuilles ou de marbre. La Martorama va bientôt leur ouvrir ses portes.
Eglise Santa
Maria dell’Ammiraglio. La Martorama.
Le corso Vittorio Emanuele devient désormais, pour eux, sympathique, familier et piétonnier. La place Bellini est à deux pas, quatre dira Jean Claude. Cette Église, Santa Maria dell’Ammiraglio méritait bien un tel effort. Mais que vient faire un officier de marine en ce lieu sacré ? Georges d’Antioche, grand amiral de Roger II, l’a faite édifiée en 1143.
Cédée en 1433 au couvent bénédictin fondée par Héloïse Martorama, le sanctuaire a pris son nom. Comme la plupart des monuments de la ville, l’édifice va subir, au cours des siècles, des destructions, reconstructions, remaniements qui en transformeront la façade, ajoutant des coupoles surprenantes sur ce bâtiment Chrétien.
Quand ils pénètrent dans l’église originelle, la splendeur des mosaïques byzantines aux magnifiques couleurs, rehaussées de filets d’or, leur coupent le souffle et la parole. La bouche ouverte, les yeux écarquillés, ils admirent ces magnifiques œuvres d’art qui couvrent les hauts murs de la vieille chapelle.
A la cime de la coupole, la majestueuse image du Christ Pantocrator trônant, entourée de quatre archanges, bénit le monde.
Une immense mosaïque, sur le mur de droite, représente un Christ géant couronnant Roger II, modeste et recueilli, malgré sa couronne qui ne le grandit pas…
Le chœur supérieur est fermé par de belles grilles en fer forgé à travers lesquelles les photographes tentent de saisir les secrets bien gardés des bénédictines. Une représentation émouvante de la Nativité, toujours en mosaïque, montre l’âne et le bœuf, réchauffant, côte à côte, le nouveau né alors que le pauvre Joseph est tristement oublié dans le coin, en bas et à gauche, pendant que Marie, en majesté, prend toute la place.
Sur la place Bellini une autre église ouvre ses portes. Vous n’y entrerez pas : Parlerme compte plus de six cents édifices religieux. Vous ne pourrez les visiter tous !
Le palais Mirto.
Le palais Mirto, s’il faut en croire ce plan largement étalé, n’est pas si loin ! Il abrite des merveilles d’art et de culture qu’ils ont hâte de découvrir. Les meubles sont d’époque, les faïences étonnent par leur diversité et l’éclat de leurs couleurs.
Les 38 salles à visiter, sur deux étages, imposent parfois de lever la tête sur les magnifiques lustres vénitiens. Même les  »chinoiseries » du petit salon, qui t’agacent un peu, méritent que l’on s’y arrête un instant. Que dire alors de l’immense salle de bal ? Avec, dans tes bras, Pierrette, Véronique ou une actrice du Guépard, tu y tournerais volontiers une valse, si tes jambes fatiguées pouvaient encore te le permettre.
Il paraît que cet immense palais est truffé de passages secrets ! L’on dit même que le salon  »du voyeur » autorisait les propriétaires à observer les nouveaux venus et à juger de leur qualité en jaugeant leur allure et détaillant leur vêtement. Ignoraient-ils, ces grands princes et grandes princesses, que l’habit ne fait pas le moine, ni le roi ?
La salle des écuries et des carrosses témoignent que ces gens là ne se déplaçaient pas à pieds. Il en est un, qui, ce soir, les envie…
Cette grande journée de tourisme, et de marche, ne se terminera pas sans l’inévitable tour dans les boutiques et l’acquisition de quelques objets inutiles et charmants. Mais Pierrette remarque la grande lassitude du seul monsieur de l’équipe. Elle estime, à 18 heure trente, qu’il est temps désormais de rentrer au logis. Pendant que les dames, allègrement, grimperont à pieds les 8 étages, toi, humblement, tu accepteras le secourable concours de l’ascenseur.
Le repas du soir, quelques minutes de lecture au soleil couchant sur le balcon, une longue nuit de repos te rendront, ce n’est pas certain, toutes tes forces pour la journée de demain, qui s’annonce tout autant riche de découvertes, de marches… et de fatigue.

Vendredi 10 mai : Palerme, toujours.
C’est une nouvelle journée de soleil, soleil levant, qui s’annonce. La température du matin, agréable et douce, vous encourage à ne pas vous attarder. Le Palazzo Réale, la Chapelle Palatine vous promettent des merveilles que vous avez hâte de découvrir.
Pierrette, sagement, te recommande d’utiliser l’ascenseur afin d’économiser des forces qui ne sont pas inépuisables. Les piétinements de la ville pèsent encore leur poids de fatigue dans des jambes douloureuses.
C’est tout un itinéraire savant que tes dames établissent attentivement penchées sur le plan de la ville. D’un corso à l’autre, par de grandes et belles avenues bordées de façades imposantes, ils vont d’un bon pas et s’arrêtent un instant à chaque carrefour pour vérifier leur route et constater : «C’est par là !»
On les avait prévenus : «Palerme, c’est comme à Naples ! La circulation désordonnée rend dangereuse la promenade en ville !» Ce n’est pas du tout ce qu’ils constatent. Les vespas, les motos, les voitures respectent les piétons. C’est plus tranquille, plus paisible et… un peu, moins sale. C’est vrai ! Les poubelles, partout, s’entassent en des monticules effrayants. Ils prennent garde de ne pas ajouter leurs propres détritus, tous aussi sales, à ces montagnes de sacs malodorants.
Ils touchent au but. Passant sous la Porta Nuova, l’imposante forteresse du château des normands s’impose à leurs yeux avec l’autorité d’un palais impérial.
Le Palazzo Réale. La Chapelle Palatine.
Déjà, dans les jardins, des groupes d’enfants, des scolaires sans doute, attendent patiemment l’ouverture du guichet. Leurs casquettes aux différentes couleurs, jaunes, rouges, noires, permettent à leurs accompagnateurs de les distinguer dans la foule des visiteurs et, peut-être, de ne pas les perdre. Si Pierrette porte un chapeau vert, ils n’ont pas de casquette et devront se garder à vue dans cette foule.
A l’intérieur de cette immense fortification arabo-normande, un trésor magnifique est enfermé : La Chapelle Palatine ! Du sol au plafond tout est artistiquement décoré de mosaïques bordées d’or. En levant les yeux, le magnifique plafond à caissons de bois témoigne du talent incomparable des artisans arabes.
Sur les murs, des représentations émouvantes de l’ancien et du nouveau testament évoquent les malheurs d’Adam et Eve, chassés du paradis, l’Arche du brave Noé perdue dans les flots du déluge, le fratricide de Caïn, ou des scènes de la vie du Jésus.
Sous la coupole, une immense représentation du Christ Pantocrator avec, à ces côtés anges, archanges et Saint Pierre et Saint Paul, semble sur le point de porter aux fidèles la parole divine…
Ont-ils jamais rien vu d’aussi beau ? La question sera sans réponse. Quand ils sortent de la chapelle, leurs yeux éblouis par tant de splendeurs ont du mal à se réaccoutumer à la lumière naturelle. Cette chapelle, témoignage saisissant de l’harmonie réussie entre les arts byzantins, arabes et latins, fait rêver à une entente possible entre tous les peuples de la terre.
Dans l’immense escalier qui permet d’accéder aux appartements royaux, les écoles d’enfants à casquette, les groupes de touristes organisés, Pierrette, Véronique et Jean Claude attendent patiemment leur tour. Certains se sont assis sur les marches. Devant les portes, deux officiels filtrent et contrôlent les entrées. Des flots de 25 à trente personnes pénètrent vivement, et les portes se referment.
Quand vient leur tour de pénétrer dans les appartements royaux, il leur semble que toutes ses richesses, meubles, bijoux, peintures et tableaux ne peuvent égaler les beautés de la chapelle. La salle réservée au vaillant Héraclès-Hercule, à ses douze travaux titanesques, pour ne pas dire herculéens, mérite bien plus qu’une trop rapide visite…
Salle du trône et salle du bal, salle où tous les princes et rois de Sicile ont leur portrait, salle encore utilisée par le parlement régional, scène de chasse et animaux fantastiques, du second au troisième étage, passant par les majestueuses galeries extérieures, le jardin à la fontaine et tant de choses encore, tu en tomberais, alourdi de tant de choses vues et d’éreintement.
Le mercato Ballaro
Les mercati de Palerme s’ouvrent tous les jours dans de nombreux quartiers. Si des touristes souhaitent aller au marché, ils devront tenir, largement écarté, leur plan de la ville, déterminer le lieu à atteindre, calculer le cap et suivre leur itinéraire à travers les corsos, les avenues, via et ruelles, prenant garde, à chaque carrefour, de ne pas se tromper.
Il ont choisi le  »Mercato Ballaro ». Grâce en soit rendue à leurs deux pilotes ! Ils arrivent au but ! Dans des entrelacs de rues minuscules, bordées de vieils immeubles où, aux fenêtres flotte du linge étendu, les étalages occupent tous les trottoirs et débordent audacieusement sur le passage des passants. Ils se heurtent, se bousculent parfois, n’oubliant jamais un petit mot d’excuse, une phrase de sympathie ou, simplement, un franc sourire.
Des tomates, rouges de confusion ou d’avoir bien mûri, des haricots luisant de rosée, ou d’un arrosage bien dosé, des fraises à la couleur de tomate, d’immenses et oblondes courgettes, de délicieuses oranges siciliennes, tous les fruits et légumes de saison proposent aux acheteurs leurs vives couleurs. Parfois, sur l’étal d’un boucher, celui d’un poissonnier, l’on débite, à la demande, une marchandise prestement sortie d’une banque frigorifique.
De proche en proche, sur un curieux scooter triporteur, un banc de mercerie surprend parmi toutes ces victuailles. Du fil, des aiguilles, des ciseaux, des dés à coudre côtoient des soquettes et des sous vêtements. En ce marché, l’on vend de tout, des produits de la terre aux instruments couturiers et même des parapluies par ce jour de grand soleil.
Après avoir regardé, tâté, goûté, elles se contenteront de quelques olives, olives noires, olives vertes, aux saveurs orientales, qui agrémenteront les salades des prochains repas.
A la table d’un bistrot restaurant
Parlant de salade et de repas, il te semble qu’il serait sage, désormais, de programmer un solide casse croûte qui pourrait en tenir place. La terrasse d’un modeste établissement protège quelques tables sous l’ombre tutélaire de grands parasols.
Ils seront servis au comptoir sur des plateaux à transporter jusqu’aux places choisies. Pierrette et Véronique, confortablement installées, surveillent, vaguement inquiètes, ton slalom hasardeux entre les pieds des tables et des chaises et celui, énorme, des parasols.
Soudain ta jambe droite, à la cheville boiteuse, se dérobe ! Sans comprendre pourquoi, tu tombes, comme en prière, sur les genoux. Ton plateau s’envole jetant à quelques mètres ton panini et ta bouteille d’eau. A ton secours, l’on accourt ! Te prenant sous les aisselles, l’on te remet sur pieds. Pierrette est déjà là. Tu récupères ton repas lointain, ta boisson roulant sous les tables, puis tu t’appliques à expliquer, te forçant à l’humour, ta minuscule mésaventure…
Pierrette prend les commandes : Trois belles tranches de thon rouge mais, également, décide que la grande fatigue du monsieur de l’équipe oblige à un retour au logis. Ce n’est pas toi qui protesteras !
En récompense de leur sollicitude, tu leur offriras un café, rapidement fait, à la cafetière italienne de leur appartement. Il ne sera ni aussi fort, ni aussi goûteux que celui servi chez les spécialistes siciliens. Mais ils le dégusteront au soleil du balcon, en réfléchissant à la suite à donner à l’après midi de cette journée.
Demain, ils ont prévu d’aller à Montreale. Afin de connaître l’horaire des bus, celui de samedi et celui de dimanche, qui les amèneront à destination, les dames pensent qu’il serait bon de se renseigner afin de bien programmer leur voyage.
Il faut aller jusqu’à la gare, soit pas moins de 12 kilomètres. Sans débat préalable, ces dames jugent que tu dois, en bon gardien, rester au logis. Tu salues leur sagesse et n’insisteras pas. Deux heures de lecture sur le balcon avec, à tes pieds, tout Palerme étalée, rien, en cette attente, qui ne puisse t’effrayer…
Elles sont étonnantes ces vaillantes marcheuses ! Ton livre n’est pas terminé et elles sont déjà là ! Pierrette affirme qu’il n’est pas raisonnable, pour toi, compte tenu de la distance et de ta grande fatigue, de marcher jusqu’à la gare samedi et dimanche. Elle va trouver une solution.
Ce soir, quelques courses sont à réaliser avant le repas. Tu insistes pour les accompagner et leur offrir une glace : Elles l’ont bien méritée. Véronique la dégustera, une fois encore, servie sur une brioche. Pierrette et Jean Claude, prudents, reporteront à plus tard une expérience gustative qui ne leur paraît pas indispensable.
Le repas de la soirée au thon rouge frit, mérite, pour les cuisinières, de vibrantes félicitations. Renseignements pris auprès de la si aimable Donnatella, un service de bus, peut-être de train, dessert la gare à partir de la station Lolli.
A Lolli, allons donc. Ce n’est pas si loin ! La promenade digestive ne peut s’arrêter là. Ces dames en gardent encore sous la patte, sous la pédale dirait un cycliste ! Elles sont incroyables, inépuisables, impitoyables !
A San Francesco, l’église, aux portes grandes ouvertes, s’illumine de mille petites lampes qui décorent également tout le quartier. Tu comptes six prêtres desservant la cérémonie.
Un monsieur souriant veut bien vous renseigner : «C’est la fête anniversaire de Saint François ! Demain, une grande procession ira jusqu’à la mer. Les barques et les pêcheurs seront bénis !» Demain, ils ne seront pas à Palerme. L’on peut écrire qu’ils le regrettent.

Samedi 11 mai. Palerme-Montreale.
Les réveils, les portables, vont sonner à 7 heure. Toi, maintenant douché et rasé, tu installes la table du petit déjeuner. C’est bien le moins que tu puisse faire… Ce matin, ils ont un bus à prendre, une heure de départ à respecter. Les dames ne seront pas en retard.
La via Dante est à deux pas. Toutes les villes d’Italie, que tu as visitées, d’autres certainement, peuvent s’enorgueillir de posséder au moins une rue, une place, une avenue dédiée au grand poète. Ils ne contestent pas : C’est justice !
Les bus, à la station Lolli ne doivent pas se soucier de l’heure qui passe, de la correspondance qui ne les attendra pas, des interrogations muettes qui les préoccupent : «Est-ce qu’ils existent, le samedi, ces bus fantômes ?»
Las d’attendre sans résultat, ils partent à la recherche d’une station où le train suppléera avantageusement l’absence de transport routier. Telle une station de métro, les rames vont ici en souterrain. L’appareil distributeur de billet est en panne. Un agent vous précise que vous devrez vous acquitter auprès du chef de gare. Non sans fierté, tu comprends tous ces propos. Mais tu abandonnes à Pierrette le plaisir de répondre. Tu comprends l’italien de tous les jours. Pour le parler, il faudra, comme un bus en retard, attendre patiemment.
Sur le quai de départ, la foule ne se bouscule pas. Un drôle de courant d’air annonce la venue du convoi, parfaitement à l’heure. Le chef de train ne se montre pas. Peut-on dire qu’ils en sont chagrinés ? Une voyageuse, sympathique et bavarde, affirme qu’il en est souvent ainsi. Après s’être moquée, un peu, des soucis de la compagnie ferroviaire, de ses appareils en panne et des trains pas toujours à l’heure, elle vous parle de ses enfants et de sa vie de tous les jours. Tu ne comprends que l’essentiel de son propos. Pierrette et Véronique te traduiront, plus tard, les mots que tu ne connaissais pas.
Les appareils de la compagnie des bus ne sont pas en panne et leurs guichets sont ouverts aux voyageurs. Leurs titres de transport parfaitement en règle, ils s’installent à l’avant du car afin de ne rien perdre du paysage qui va défiler sous leurs yeux, pendant les huit kilomètres du trajet, vers ce village bâti sur la terrasse d’une colline aux pentes abruptes, le Monte Caputo.
Ils ne perdront rien ! Rien du discours ininterrompu prononcé à voix de stentor par un ancien qui s’adresse au chauffeur et assourdit tous les passagers. Tu présumes, à travers ses sourires malins, ses variations de ton, qu’il débite tous les ragots de Palerme collectionnés pendant les nombreuses années de sa vie sicilienne.
Hélas ! Tu n’y comprendras rien. Les italianistes averties, Véronique et même Pierrette, n’en savent pas plus. Comme par malice, afin que ces étrangers ne connaissent pas les arcanes de ces histoires locales, le malin a utilisé le dialecte de son pays.
L’histoire de Montreale va se découvrir à livres ouverts dès leur descente du véhicule. Les derniers lacets de la montée vers la cathédrale se parcourent à pieds. Oubliant les boutiques à touristes, il leur semble cheminer dans un village médiéval où les attend depuis des siècles la plus haute forteresse.
Une forteresse ! C’est ce que tu crois voir sur la place Vittorio Emanuele ! Deux tours carrées à la pierre noire, dont l’une, haute comme un donjon domine sa voisine, encadrent un porche qui n’a rien de médiéval ! L’ensemble cathédrale remonte au douzième siècle, élevé sous le règne du roi normand Guillaume II. Le porche, attribué au sculpteur Marabitti, date dix huitième…
Pour franchir l’important portail de bronze sculpté, tout aussi vénérable que les deux tours, il faut acquitter son passage ! Oseront-ils marcher sur le magnifique pavement de la nef, aux dessins géométriques, dans ce monde de merveilles, de couleurs, de mosaïques ? Levant la tête, bouches ouvertes, ils sont ébahis par ces plafonds en bois, si richement décorés, cette charpente qui porte le toit de l’église depuis bientôt huit siècles !
Sous l’immense Christ Pantocrator, 7 mètres de hauteur, aux yeux mélancoliques et rêveurs, une vierge à l’enfant au beau visage juvénile s’entoure d’anges, de saints et d’apôtres. Au dessus des arcades de la nef centrale, des mosaïques aux dessins lumineux représentent, naïves et conventionnelles, des scènes de l’ancien testament.
Pour monter sur le toit de l’édifice, ils empruntent un petit escalier étroit et pentu où la cheville de Jean Claude tente de se bien tenir. Quand ils parviennent au sommet, sous un soleil radieux, un ciel sans nuage, leurs regards découvrent, jusqu’à la mer, la Corne d’or tant célébrée. Mais les champs d’orangers qui lui ont donné sont nom, disparaissent un à un… De l’or de la Corne, bientôt, il ne restera rien.
A leurs pieds, le déambulatoire du cloître aux colonnes si finement sculptées, leur donne une envie de sérénité monastique à laquelle ils ne s’attarderont pas. Après une descente prudente, un retour sur terre, vont-ils désormais se poser sur la place à la fontaine du Tritone pour avaler un quelconque casse croûte ? Un tour complet de la cathédrale, un tour extérieur, va encore aiguiser un appétit qui devra attendre…
Cette petite ville, sous le soleil, a des charmes romantiques et… de nombreux restaurants, pizzeria et cafés qui souhaiteraient les retenir à leur table. Sur une terrasse, mi ombre, mi soleil, ils commandent une  »calzone », énorme chausson salé. Même celui que la faim tourmente, ne viendra pas à bout de ce plat gargantuesque…
Deux cafés, très forts et très bons, Pierrette s’abstient, réveillent des esprits endormis par le poids de leur estomac. Pour explorer la ville, toute en relief, ils doivent monter, ou descendre, et solliciter sans pitié cette cheville douloureuse. Tes mines attristées de chien malade, ou battu, disent clairement aux dames : «Ce monsieur est lassé de piétiner dans les magasins à la recherche de trésors qu’ils n’ont pas !» Elles ont compris et s’acheminent sagement vers les lieux où l’autobus les ramènera à Palerme.
En gare, le train de Lolli est sur le départ. Ils ne perdront pas une minute, juste le temps qu’il faut pour acquitter leur billet. Un voyage sur deux en clandestins suffit à leur bonheur et… à leur bourse.
A l’entrée de l’immeuble, monsieur le concierge, qui les connaît désormais, leur ouvre poliment la porte et appelle l’ascenseur. Personne ne souhaite affronter les escaliers. Un café  »maison » rendra suffisamment d’énergie à l’élément féminin de l’équipe. Elles sont reparties. Toi, elles t’ont condamné au repos. Tu acceptes le verdict et sa conséquence, une bonne heure de lecture sur le balcon.
De ce balcon, que le soleil vient de déserter, tu aperçois, pas très loin, le cube sombre et austère du château de la Ziza. A la jumelle, en cherchant attentivement, tu verras peut être Véronique et Pierrette en franchir le porche fortifié. Tu sais qu’à leur arrivée, elles te raconteront leur visite avec la vivacité de celles qui savent retenir ce qu’elles ont vu, sans se lasser de tant de belles choses.
De ce palais royal au nom arabe que le guide traduit par  »la splendide », de son jardin digne du jardin d’Eden, de son ingénieux système de climatisation, elles reviennent un peu déçues.
Juste à côté du château, un curieux personnage, rencontré par hasard, leur a permis de visiter la chapelle. Ce monsieur, membre d’une association caritative, participe à la restauration des lieux et secourt des populations en grande difficultés. Il explique que cette grande salle a accueilli 50 pauvres convives et que même le Pape est passé par là…
Toi, ce soir, tu n’as pas d’appétit. Ce ne sont certes pas les courants d’air de la Ziza qui t’ont donné la fièvre ! Véronique te propose un médicament qui devrait te guérir. Tu prétends que tu n’en prends jamais mais avales, sans boire, le comprimé de cette dame infirmière. Nous verrons bien le résultat.
C’est votre dernière nuit sous le ciel palermitain. Les valises seront rapidement bouclées. Demain, il faudra se lever tôt et partir vers une autre destination.

Dimanche 12 mai. Palerme-Catane.
Le cachet miraculeux a été efficace : Tu es en pleine forme ! Après un petit déjeuner savoureux, copieux, bien servi, les provisions de bouche qui restent encore, s’entassent dans un grand sac. Sacs et valises, posés devant l’entrée, attendent sans protester. Le départ est pour 7 heure.
Donnatella souhaite les saluer avant leur départ. Elle sera ponctuelle. Affectueux et mélancoliques, les adieux seront chaleureux. Leur hôtesse, adorable Donnatella, leur confie : «Aujourd’hui, en Italie, c’est la fête des mères !» Toutes, étrangement émues par cette révélation, trois mamans s’embrassent. Et les Pères ? Seraient-ils oubliés ? Cet esprit chagrin de Jean Claude tient à préciser : «La fête des mères a été créée par le gouvernement de Vichy que dirigeait le Maréchal Pétain de triste mémoire…» Les mamans, pour si peu, n’en seront pas attristées.
Ils connaissent leur chemin et parviennent à la gare de Lolli en quelques minutes. La  »macchinetta » est toujours hors service. Mais leur train, aujourd’hui, ne voyage pas sans contrôleur. Il descend sur le quai et leur annonce : «Je passe dans un instant pour vos billets.»
Dans un instant, peut être moins, ils seront à la gare routière où d’autres voyageurs sont prêts à monter dans un bus qui arrive bientôt. Un groupe bruyant et démonstratif occupe les premières places. Une jeune dame, grande, lourde, légèrement vêtue, braille plus fort que les autres et impose sa personnalité débordante à toute la compagnie.
Dès le départ, Pierrette et Jean Claude tentent de lire, Véronique de sommeiller. Mais le clairon tonitruant de ce colosse féminin ne lâche rien et, pour alimenter le volume de sa voix, elle porte à sa bouche le goulot d’une bouteille carrée au liquide d’une belle couleur ambrée. Tu penses qu’il ne s’agit pas d’un jus de pomme et tu seras obligé de refuser si elle t’offre de partager sa boisson.
Ce spectacle animé, son, boisson, gesticulation, se termine enfin dans les faubourgs de la ville. La bouteille est vide, le car se vide aussi. Le buffet de la gare propose un repas à trois plats pour moins de 7 euros. Ils n’hésitent pas. Véronique propose de goûter au canello, une pâtisserie typiquement sicilienne, qu’ils partageront équitablement. Cela ne vaut pas une glace italienne !
Leur logement dans la ville n’est pas très loin de la gare. La description qui en a été faite, trois chambres, deux salles de bain, leur laisse espérer un appartement très agréable. La rue est un peu triste et l’immeuble bien gris. Comme la porte refuse de s’ouvrir, Pierrette demande à cette dame, qui les observe de sa fenêtre, de bien vouloir lui permettre d’entrer. Elle n’est pas polie, pas jolie, ni gracieuse, presque grincheuse, mais la porte ne résiste plus.
Le couloir n’est pas très propre. Deux scooters, une aile cabossée de voiture, celle d’une fiat sans doute, encombrent le passage. L’escalier n’est en rien comparable à celui de l’immeuble de Palerme. Mais ils veulent croire que l’appartement effacera leurs inquiétudes.
Une forte odeur de javel monte aux narines. Un balai dans une main, un chiffon dans l’autre, Alessio leur ouvre le passage… D’être surpris ainsi en plein ménage lui donne un petit air contrit, comme gêné dans ses gestes et son ouvrage. Il parle à toute allure et tu ne comprends rien.
Pierrette traduit : «Il juge que nous sommes en avance mais que l’appartement est bien propre. » Drôle de conception de l’avance, ou du retard, et de celle de la propreté des lieux. Le logement, disait le contrat, sera disponible à partir de 13 heure. Il est 14 heure 25 ! Quant au nettoyage, vous vous apercevrez bientôt de sa très relative efficacité.
Pour la découverte des quelques pièces, vous le suivez à la trace, celle que trace sur le sol son chiffon humide. La cuisine étroite, sombre et encombrée, ne révèle pas, aux premiers coups d’œil, toutes ses qualités. Les dames s’apercevront, après le départ de leur hôte, que la gazinière aux quatre feux ne peut en allumer que deux. Du robinet de l’évier, un pauvre filet d’eau donnera à la vaisselle le temps de se détremper.
La première salle de bain W.C. exige de ses utilisateurs une sveltesse, une souplesse, un aplomb… de danseuse étoile ! Le salon est correct. La chambre serait parfaite si la poussière ne l’habitait pas et si les fenêtres au bois vermoulu, aux vitres disjointes, comme toutes celles de l’appartement d’ailleurs, n’offraient pas au courant d’air des interstices délicieux…
Le deuxième niveau va être le domaine réservée à Véronique. On y accède par un escalier où la danseuse étoile de salle de bain pourrait y exercer ses belles qualités d’équilibriste. L’on doute qu’il soit accessible à toutes personnes. La chambre, même au grand jour, impose un éclairage artificiel…
Mais qu’importe la médiocrité de leur lieu de séjour. Ils ont un toit sur leur tête, un nid où se réfugier après de longues journées de marches et de visites, une cuisine pour préparer leurs repas et un lit pour dormir. A toute allure, Alessio trace sur une carte les lieux où ils pourront manger, s’abreuver ou déguster une glace. Mais ils ne sont pas là pour courir les restaurants. Leur guide perdra sa vivacité quand ils lui demanderont de signaler  »ce qu’il faut voir à Catane ».
Aussi vite qu’il l’a pu, il est parti ! Pendant que Jean Claude prépare un café, Véronique et Pierrette prennent possession des armoires et des placards, ce qui fut rapidement fait… Maintenant, un plan de la ville à la main, ils vont tenter une première découverte de la ville.
Par une belle avenue montante, pavée de dalles noires, d’où l’on n’apercevra pas l’Etna, caché dans les nuages, ils pénètrent dans le Jardin Bellini, oasis de verdure au cœur de cette grande cité. Posés sur des colonnes à hauteur d’homme, ou de femme, des bustes de marbre marquent les carrefours de nombreuses allées arborées. Vous lisez attentivement le nom de ces nobles inconnus, gravé au dessous de leur barbe, et méditez sur la fragilité de la renommée de ces hommes certainement très célèbres en leur temps.
Parfois le nom d’un musicien, celui d’un peintre ou d’un écrivain, éclaire dans votre esprit l’espace étroit d’une réminiscence ancienne. Seul, celui de Garibaldi vous rappelle soudain que ce jardin, comme tant d’autres en Sicile, célèbre le libérateur de l’île.
Revenant vers le centre ville, leurs regards s’arrêtent souvent aux vitrines des magasins qui reçoivent parfois la visite attentive des dames de l’équipe que suit un monsieur un peu las. Sur la place du Dôme, où ils arrivent en flânant, un éléphant noir au dessus d’une fontaine porte sur sur son dos un obélisque pointu.
La légende dit, faut-il la croire, qu’un magicien des temps anciens, mécontent de son pachyderme, le transforma en animal de lave brute. Sur cette place, la foule tourne et vire d’une animation sympathique et bon enfant.
Ils réservent aux jours prochains une visite plus attentive de la ville et décident de rentrer au logis. Au premier contact, celui de ce jour, il leur semble que cette cité paraît plus vivante, plus vigoureuse, plus active que la somnolente Palerme, endormie par le charme lascif du monde africain. Mais c’est Palerme, pourtant, qui aura leur préférence.
Véronique et Pierrette, infatigables, jugent qu’elles doivent, à la gare, s’informer sur les horaires des transports qu’il emprunteront dès demain. Elles abandonnent à Jean Claude la garde exclusive de l’appartement et la mise en ordre des notes prises dans la foulée. Il acceptera, sans contester, ce rôle important et… reposant.

Lundi I3 mai. Syracuse.
 » Avant que ma jeunesse s’use et que mes vingt ans soient partis
J’aimerais tant voir Syracuse, pour m’en souvenir à Paris… »
Au delà des chansons, et des légendes, on vous donne la chance de porter vos pas dans cette cité à l’histoire si riche, au site qui attira, dès la plus haute antiquité, poètes, tragédiens, philosophes et… colonisateurs, guerriers et conquérants.
Personne ne protestera contre un lever matinal, un déjeuner aux biscottes, faute de pain, et la marche rapide vers la gare routière, toute proche pourtant. Maintenant, confortablement installés dans le bus, ils vont tenter de mettre à profit le temps du voyage, pour observer le paysage qui va défiler sous leurs yeux.
Le bus les dépose au plus haut de la ville. Autour d’un café fort dont le liquide noir se perd au fond d’une tasse minuscule, ils déterminent leur itinéraire et le programme de la journée. Ils vont descendre vers la mer afin d’atteindre l’îlot d’Ortygie dont ils feront le tour.
 »Il suffit de passer le pont » comme pourrait le chanter Jean Claude, admirateur inconditionnel de tonton Georges, pour entrer en l’île. Le temple d’Apollon, aux énormes pierres brunes, vestiges tristes d’un monument abattu, arrête un instant le regard des voyageurs et les touristes pointent sur lui l’objectif de leur appareil.
Malgré quelques nuages dispersés dans le bleu du ciel matinal, la température agréable de ce jour de printemps incite à la découverte. Ils s’égarent un peu, nez au vent, à travers des ruelles bordées de maisons aux façades claires, aux volets peints de couleurs vives. Seraient-ils en Grèce ? Jean Claude prétend : «C’est dans cette île que des marins venus de Corinthe ont débarqué sept siècles avant notre ère pour fonder une colonie !» Comment ne pas le croire ? C’est lui qui détient les documents.
Il semble que toutes les rues d’Ortygie mènent à la mer. Du haut de la falaise, sur un chemin aménagé, ils suivent le rivage ou descendent parfois jusqu’au bord de l’eau. Elle est si belle, si claire… et ne s’y sont pas baignés. Pierrette le regrette mais l’on dit que le soleil est bien trop timide pour oser un bain de mer !
Une imposante forteresse, austère et dure, se voit de si loin qu’il leur semble ne jamais pouvoir l’atteindre. Le château Maniace ne se visite pas ! Toi, songeant aux épisodes guerriers subis par la ville, tu imagines Archimède, cet immense savant, défendant la ville en incendiant les navires ennemis, dirigeant sur eux ses miroirs à combustion.
Évoquant les célébrités antiques, tu parles maintenant d’Eschyle, le grand dramaturge grec, qui fit jouer  »Les Perses » au théâtre que vous visiterez ce soir. Tu n’oublies pas Platon, philosophe et conseiller politique des Denys, père et fils, avec lesquels il n’eut pas toujours des relations parfaitement harmonieuses.
Toujours au bord de mer, sortant d’une grotte profonde, la source d’Arethuse retient sur ses bords la curiosité de nombreux touristes, étonnés par la profusion végétale du bassin aménagé, du bronze verdi d’une nymphe et d’un Dieu, et de la légende mythologique, légende d’amour que tu as oubliée.
Le théâtre et la philosophie, la beauté des monuments et les charmes de la mer, ne nourrissent pas toujours des touristes marcheurs. Revenus dans le cœur de la cité, ils cherchent un établissement au menu, et aux prix, qui conviennent à leur goût et à leur bourse. A Syracuse, comme partout en Sicile, ce n’est jamais une quête perdue.
Ils traverseront la place Archimède, effectueront un tour de fontaine sans pour autant s’arrêter pour boire ou pour manger, puis, d’une place à l’autre, la magnifique place de la cathédrale leur promet, après repas, des découvertes à ne pas manquer.
Des vendeurs de parapluie apparaissent mystérieusement aux premières gouttes de pluie, tombées d’un ciel changeant, que de gros nuages disputent au soleil. Il est temps de choisir une table, une table à l’abri de préférence.
Le sourire éclatant d’un monsieur à chemise blanche, sa sympathique invitation à venir déguster les produits de son établissement, les prix particulièrement attractifs qu’il annonce parviennent à les convaincre. Avec un cérémonial bon enfant il les installe à une table et prend leur commande.
Ce n’est pas un festin, juste une restauration rapide qui leur permet de ne pas perdre de temps : La cathédrale les attend. Sur l’antique temple d’Athéna, une façade imposante et magnifique dresse de hautes colonnes dans un ensemble baroque à vous couper le souffle ! Dédié à la Vierge, à Sainte Lucie patronne de la ville, cet édifice monumental aux pierres si claires est plein d’ombre sous ses voûtes…
La place du Duomo retrouve le soleil. Ils peuvent encore entrer dans l’église Sainte Lucie alla Badia et admirer l’œuvre du Caravage,  »l’enterrement de Sainte Lucie », réalisée par l’artiste, pendant son passage à Syracuse, marquant une brève étape lors de sa fuite éperdue… poursuivi par la justice .
D’autres merveilles de ces lieux ne devraient pas être négligées. Ils passeront devant les façades des palais, photographiant et admirant, avant de revenir sur la terre ferme et grimper vers les théâtres antiques, grec et romain.
Un drôle de cône pointu aux lames de béton, se dresse sous leurs yeux, imposant son immense profil à toute la ville. Il passeront sans s’arrêter tout près de ce sanctuaire de  »La Vierge aux larmes ». Ils n’ont pas le cœur à pleurer !
L’après midi est déjà bien avancé quand ils se présentent devant la billetterie, leur ouvrant le passage du théâtre grec. Les tarifs, relativement élevés, offrent trois visites indissociables. Celle qui les intéresse plus particulièrement, n’est possible qu’en partie. D’un commun accord, ils renoncent et s’en vont à l’arrêt du bus qui les ramènera à Catane.
Dès leur arrivée en ville, ils dégustent la glace du jour avant de rentrer au logis. Là après avoir sacrifié à la cérémonie du café vespéral, les voilà repartis pour des courses inévitables. Le record en kilomètres marchés, parcourus dans la journée, n’est pas battu. Jean Claude évalue à 16 kilomètres la distance piétinée tout au long de cette belle journée. Ils ont fait mieux, mais l’ancien de la bande n’en est pas moins, de si peu, bien éreinté !
Ils ont vu Syracuse, mais n’en n’ont pas tout vu !

Mardi 14 mai. Taormine.
La météo du jour n’est pas optimiste ! C’est une journée de pluie qui s’annonce sur la Sicile. Rien de comparable, pourtant, à la tempête qui sévit en Italie du nord. La neige, en Piémont est descendue des montagnes. Fleuves et rivières, en crue, inondent les vallées.
La pluie du matin et le vent ne pourront en rien annuler leur programme. Tant pis si l’orage tambourine sur les tôles du car. Pour l’instant, ils sont à l’abri. Le ciel est si noir qu’il a mis sur l’Etna un rideau épais de nuages qui l’a fait disparaître du tableau.
Après avoir longé la mer, aux plages un peu tristes sous la grisaille, ils parviennent au pied du mont Tauro. La position exceptionnelle de la ville, bâtie sur une terrasse, protégée en son dos par la montagne, vers la mer par l’abrupt de ses pentes, explique pourquoi, dès sa fondation par les Sicures, près de mille ans avant notre ère, tous ses occupants choisirent ces lieux pour en faire une forteresse, convoitée, et ils furent innombrables, par tous les envahisseurs.
L’histoire de cette ville, particulièrement tourmentée, ne se raconte pas en quelques lignes. Pendant que le vieux moteur du car ahane dans des lacets où le chauffeur doit parfois reprendre sa trajectoire, ils établissent le programme des visites qu’ils veulent effectuer. Le théâtre gréco-romain va occuper une grande partie de la matinée.
Comme pour saluer leur descente du car, l’orage s’éloigne, les gouttes de pluie, plus rares, ne peuvent rien contre un trio qui monte d’un bon pas vers les hauteurs. Par une rue étroite, bordée de magasins à touristes, ils parviennent à la billetterie déjà fort occupée par des groupes rangés entre les barrières.
L’attente sera bien moins éprouvante que redoutée. Maintenant, des plus hauts gradins, ils s’imaginent, spectateurs attentifs d’un drame de Sophocle ou d’une comédie d’Aristophane. A l’entracte accordé, ils descendent vers la scène, transformée à la romaine, puis remontent par ces marches usées d’un antique escalier, pour ne rien perdre de la majesté du site, théâtre devenu arène.
Marchant le long des galeries, ils apprennent, sans surprise, que les gradins du premier niveau étaient réservés aux autorités de la ville, aux nobles et aux prêtres, ceux du milieu aux bourgeois et commerçants, le petit peuple, aux bons yeux, s’entassait sur les derniers degrés tant éloignés de la scène. Peu de choses ont changé, semble-t-il. Dans nos salles d’opéra, les meilleures places ne sont pas pour les manants, à qui sont promis le Paradis au poulailler.
Pour agrémenter ces découvertes passionnantes, le soleil, en un clin d’œil, agrémente le décor. Par un sentier d’arbres, de buissons et de fleurs, ils reviennent vers la ville franchissant, en quelques pas, l’intervalle historique qui sépare de quelques siècles l’antiquité du haut moyen âge.
L’intermède solaire fut de courte durée. Malgré le charme émouvant de ces rues qui semblent vous transporter des centaines d’années en arrière, au temps des chevaliers et des belles dames à hautes coiffures, la pluie revenue en averses abondantes vous encourage à chercher refuge à l’abri, à l’intérieur d’un endroit où vous pourrez vous restaurer.
La grande originalité de ce repas entre les gouttes subies, avalé à l’abri, n’est pas dans ton assiette. Mais Pierrette et Véronique, ces audacieuses curieuses, vont oser  »l’arancio », drôle d’orange en forme de poire farcie de riz et de je ne sais quoi encore !
Digérer sous la pluie, ce n’est pas raisonnable ! Comme ils souhaitent poursuivre la visite de la ville, ils vont acheter deux parapluies. L’un abritera Véronique. Le second, en vrai recours des amoureux, s’ouvrira pour Pierrette et Jean Claude. Si l’on ne lui demandait pas de s’abstenir, pas utile qu’il pleuve plus, il lui chanterait  »Le parapluie »…
Malgré leur parapluie de fortune, qui ne vaut pas cher, trois euros ce n’est pas une fortune, ils se mouillent un peu à trotter ainsi, flânant dans les ruelles, s’arrêtant devant les vitrines, levant les yeux, et leur parapluie, pour compter les créneaux de la Tour de l’horloge, forte et carrée comme un donjon.
De la porte de Messine à la porte de Catane, passage obligé des voyageurs se déplaçant entre ces deux villes, ils ne peuvent manquer la façade, crénelée comme pour se défendre, celle de la cathédrale dédiée à Saint Nicolo. Est-ce une forteresse qui leur ouvre ses portes ? L’intérieur, sobre et austère, n’a rien de l’éblouissante splendeur des chapelles byzantines. Mais le toit de ce sanctuaire, remarquable par l’ingéniosité de sa charpente, les abrite, le temps bref de la visite, bien mieux que leur parapluie !
Autre abri bienvenu, l’église Santa Caterina d’Alessandria leur donnera un asile bienveillant sous la protection de la Sainte en marbre, nichée au dessus du portail.
Sur la place, où ils reviennent bientôt, une femme à tête de taureau,  »la Minautauressa », la sœur du Minotaure sans doute, alimente du jet craché de sa bouche, une curieuse fontaine aux sculptures torturées.
Par des ruelles montantes aux petits pavés luisants et glissants. Ils voudraient grimper jusqu’au sanctuaire  »della Madona della Rocca », guidés par la croix blanche que l’on voit de si loin. La mauvais temps qui insiste, la pluie qui persiste, les détourneront d’un projet trop ambitieux.
Ils retournent sagement au point de retour, observant, en passant, églises et palais de Taormine, sans pouvoir apercevoir la pyramide majestueuse de l’Etna, pourtant si proche, toujours cachée par des nuages noirs.
Pour cause de mauvais temps, et d’un peu de fatigue, ils repartiront un peu plus tôt que prévu pour arriver à Catane, toujours sous la pluie, au cœur de l’après midi. De belles oranges, achetées à l’étal d’un sympathique marchand, alourdiront leurs sacs à dos pendant les quelques mètres qui les séparent encore de leur appartement sicilien.
Avant le repas du soir, de pâtes italiennes et de tomates du pays, une dernière sortie s’impose à la recherche d’une boulangerie qui leur vendra le pain du petit déjeuner du lendemain.

Mercredi 15 mai. Catane.
Ce mercredi avait été prévu pour une excursion montagnarde sur les pentes du volcan. Le temps est exécrable et l’Etna, toujours dans les nuages. Pas possible de monter à plus de trois mille mètres par de telles conditions.
De plus, renseignements pris, ceux qui ont le monopole de cette expédition imposent des tarifs qu’ils jugent excessifs ! Parfois, en raison de l’humeur du géant ou des caprices de la météo, ils annuleraient même, sans préavis, la dernière étape de la grimpée. C’est décidé : Ils n’enrichiront pas de tels requins… de Messine ?
Le marché aux poissons de Catane est célèbre dans toute l’Italie. Il paraît même que des artistes talentueux, et délicats, l’ont pris pour modèle. Ils ne sont pas peintres, et artistes bien peu, mais ils vont ce matin, dès le petit déjeuner terminé, au marché pour… acheter du poisson.
Tout près de la place du Duomo, tout un quartier retentit du cri des marchands qui encouragent la clientèle à s’arrêter devant leur étal. Des poissons de toutes tailles, des énormes espadons à la minuscule friture, frétillent, les écailles brillantes encore de l’eau dont on les arrose abondamment.
Le passage, abandonné aux chalands, se resserre, grignoté par de grands étalages des produits de la mer, parmi lesquels de petites tables ordinaires de pêcheurs locaux proposent les produits de leur pêche du matin. Tout bouge, gesticule, s’agite et crie. Des seaux, des bassines, des arrosoirs posés çà et là sans souci d’encombrement, attendent une utilisation prochaine. On patauge un peu sur le sol détrempé, poursuivi par une odeur prégnante de poissons.
Une telle animation mérite d’être fixée par la photographie. Les appareils sont sortis. Véronique montre à Pierrette comment réaliser une vidéo qui gardera en témoignage toute la couleur, le mouvement, l’activité, l’agitation de ce monde si vivant.
Deux hommes, bras tendus à se rompre, transportent, à petits pas, une énorme bassine dans laquelle une eau grise ballotte à éclabousser leurs jambes et celles des passants. De minuscules poisons vifs, de la friture sans doute, tournent affolés, comme pour s’évader de cette prison.
De cette friture, Ils n’achèteront pas. Pour le repas de midi, qu’ils prendront au logis, ils choisissent trois tranches d’espadon à faire griller à la poêle sur le timide feu d’une cuisinière essoufflée.
Ils ne s’attarderont pas à table. Ils ont tant de choses à voir à Catane ! Des églises, des vestiges romains, la cathédrale, tout un après midi n’y suffira pas ! Montant vers l’Etna, qu’ils n’apercevront pas, toujours caché dans les nuages, ils posent leur pas sur des dalles de lave brune rendues brillantes, et glissantes par, sans parapluies, quelques gouttes de pluie.
Les ruines de l’amphithéâtre romain, aux pierres noires, proposent à l’imagination l’importance de l’édifice à sa création. Combien de spectateurs se sont assis sur ces gradins ? Il n’en reste que peu de choses, de leur splendeur, et point de spectateur. Ces matériaux ont servi à l’élaboration d’autres monuments, phénomène courant, inévitable… regrettable.
Une, deux, trois églises vont s’ouvrir sur leur parcours. Dans l’une d’elle, le martyre de Sainte Agathe, patronne de la ville, se montrera avec un réalisme émouvant, jugé effrayant par ces visiteurs dont on n’a pas connu le nom.
Devant la cathédrale, détruite, reconstruite, exposée sans répit au cours des siècles aux colères de la terre, aux humeurs terribles du volcan (Quand l’Etna éternue, Catane tremble !), ils admirent longuement sa façade baroque avant d’entrer dans le sanctuaire.
La magnifique place du Duomo, place à l’éléphant et sa fontaine, place du palais municipal, offre aux yeux des passants la merveilleuse architecture du théâtre Bellini dont ils n’auront pas le loisir de visiter l’intérieur.
Le palais de l’université, sur une autre place situé, porte sur sa façade une inscription en lettres dorées :  »Siculorum Gymnasium » Les portes sont largement ouvertes. De la galerie du deuxième niveau sous arcades, ils observeront ébahis, l’harmonieux pavement du patio, blanc et noir, marbre et lave artistiquement alternés.
La pluie les contraint à se réfugier chez un glacier. Quand ces gourmandes, ce gourmand, auront terminé leur délice, le retour ne se fera pas sans une visite attentive des magasins de mode !
Même une librairie va leur offrir un nouvel abri contre la pluie. Jean Claude a épuisé sa provision de livres. Pierrette, soucieuse de la culture de son époux, lui offre  »Le plus et le moins » un ouvrage d’Erri De Luca. il recommande sa lecture.
Pendant qu’il entame les premières pages, les dames vont accomplir les courses pratiques de la journée. Ce n’est pas justice, mais elles ne réclament pas son concours. Demain matin, pour compenser d’un rien son incorrigible nonchalance, il accompagnera Pierrette vers la plus proche boulangerie afin d’offrir, pour le petit déjeuner, du pain frais, peut être chaud, au trio qui va vivre son dernier jour sicilien.

Jeudi 16 mai. Dernier jour à Catane.
Le réveil, impitoyable, les sort du lit. Il est tout juste six heure et demie. Ils s’habillent en hâte, en silence, les gestes encore endormis.
La toilette sera pour plus tard. Une grande lueur tremblotante illumine la chambre. L’orage tonne, n’oubliez pas le parapluie.
La boutique n’est pas loin. Derrière la vitrine, la boulangère range son pain. Etonnée par la venue de clients si matinaux, ni sourire ni ne cherche à être aimable. Non ! Le pain qu’ils réclament n’est pas prêt. Il n’est pas possible de savoir à quel moment ils pourront l’acquérir. Telle une Reine de France au peuple de Paris  »Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la Brioche ! » De la brioche, c’est ce qu’elle leur propose en consolation.
Refroidis par un tel accueil, et par la pluie qui insiste, ils vont chercher ailleurs leur pain quotidien. Les boulangeries, à Catane ne font pas concurrence aux pizzéria, aux bistrots, aux églises, ni aux glaciers. Déguster  »un gelato » ne se souhaite pas en guise de petit déjeuner. Découragés par leur recherche infructueuse, et le parapluie qui prend l’eau, ils reviennent au commerce négligé tout à l’heure, à l’employée si peu avenante. Ils déjeuneront à la brioche. Ce n’est pas pêché de gourmandise mais l’inexorable nécessité !
Pour ce premier repas de la journée, ils ne se presseront pas : les éclairs de l’orage ne sont pas au chocolat ! Personne ne souhaite passer la matinée sous parapluie ! Ils s’installeront confortablement pour lire, guettant une amélioration notable de la météo.
A la première éclaircie, à dix heure, ils se déclarent prêts à affronter le gros temps. Il ne fait toujours pas beau. La fraîcheur de la température, ils ont froid, les pousse vers cet établissement où ils ont dégusté une glace la veille. Les places sont chères et les tables se disputent. Ils réussissent la conquête d’un mince espace à se partager, commandent des cafés, et resteront là jusqu’à réchauffement complet de leurs membres engourdis.
Mais Pierrette veut améliorer sa vidéo du marché aux poissons. Il paraît morne, ce matin, ce marché, bien moins animé que celui de la veille. Tout près des marchands de thons et d’espadons, ils ont repéré une boutique bien commode pour satisfaire leurs besoins d’achats. Cartes postales, magnets, petits cadeaux à offrir aux enfants, aux parents, aux amis, réclament une sélection attentive et parfois quelques marchandages pas toujours acceptés. Ils ne sont pas à Marrakech !
Emplettes faites, le soleil un instant revenu, Ils jugent possible de monter vers la silhouette imposante du château Ursino, forteresse moyenâgeuse aux tours rudes et rondes, voulue par Frédéric II de Souabe pour se défendre des pirates ou des populations révoltées.
Dès l’entrée, un jeune homme à barbe, onctueux comme un évêque, une jeune fille souriante, leur proposent de participer au Téléthon dont ils sont les représentants. Une discussion sérieuse s’anime rapidement. Ces jeunes gens sympathiques ont la foi des apôtres. Vous leur souhaitez une pleine réussite dans leurs projets et de conserver longtemps leur énergie dépensée aux services des autres.
C’est le neuvième jour passé au bord de la mer. Pierrette, dont on connaît le goût pour la natation en eau salée, n’a pas encore réussi à mouiller le maillot. A Palerme, tant de choses à faire et à voir n’ont pas permis une évasion à la plage. A Syracuse, où l’eau était si belle, la nageuse a oublié son maillot. A Catane, coûte que goutte, gouttes de pluies oubliées, elle veut tenter l’aventure !
La mer n’est pas si loin. Encore faut-il l’atteindre. Ils sont bénis ces marcheurs sous parapluie et quand l’orage se réveille, ils sont tout près d’un petit port de plaisance qui leur ouvre son portail après une descente abrupte.
La pluie redouble. Elle voulait prendre un bain, ils subissent une douche vigoureuse et glacée. Sous un hangar à bateau, un toit sûr sur leurs tête leur permettra d’attendre la fin de l’orage et le début de la baignade.
Ils comptent les secondes qui séparent le coup de sabre de l’éclair, de l’éclat du tonnerre et constatent en chœur : «Il s’éloigne !» Tout à coup, à quelques mètres, un fracas épouvantable signale que la foudre vient de frapper tout près de leur refuge. C’est un déluge qui tombe maintenant.
Les employés du port rangent leurs outils. Le chef de travaux vient vers eux et s’inquiète de la précarité de leur situation.
Luigi, sympathique et bavard, veut bien poser avec eux pour une photo souvenir. Les réfugiés l’informent qu’ils attendent la fin de l’orage et que deux parapluies pour trois ne leur permettent pas de s’enfuir sans dommage sous une telle averse.
Sans hésiter, il part vers son bureau et revient aussitôt avec un parapluie dont il leur propose l’usage. Pierrette choisit son meilleur italien pour le remercier chaleureusement et demande comment il envisage de récupérer son bien. Luigi, d’un geste démontrant toute sa générosité, réplique aussitôt que c’est un cadeau qu’il est heureux de leur offrir.
Un vent violent semble vouloir repousser la pluie vers le large. La mer, au delà du port, monte vers le rivage des vagues de tempête. Il faut renoncer à la baignade et, grâce au parapluie de Luigi, tenter un retour vers la ville.
La rue qui conduit au port s’est transformé en torrent impétueux. Ils avancent à petits pas, de l’eau jusqu’à mi mollet. Pierrette s’amuse de leur démarche de palmipède et Jean Claude trempe maintenant jusqu’aux genoux dans la flotte ! Soudain, sa jambe folle au pied incertain, glisse, emportée par la force du courant. En un instant, il s’imagine déséquilibré, tombant, dos à plat, dans le torrent et emporté jusqu’à la mer pour une noyade italienne !
Pierrette ne rit plus ! Elle fonce ! Elle attrape la main de ce canard boiteux et le guide de l’autre côté de la rue où le flot du torrent n’est pas aussi violent !
Dans les rues, les voitures jouent aux petits navires, leur carrosserie au ras des vagues, leurs roues trempant jusqu’aux essieux. Les passants tentent de repérer des passages où le niveau de l’eau permet encore de marcher. Le parapluie de Véronique résiste aux rafales. Celui de Luigi tient bien dans le vent. Celui de Pierrette, renversé à plusieurs reprises, perd ses baleines et n’abrite plus !
C’est un bonheur d’arriver au logis ! Ils vont mettre le chauffage à fond, passer aux sèche cheveux leurs vêtements dégoulinants et leurs souliers transformés en éponge, puis, sous une douche chaude celle là, retrouver force et optimisme.
Les interrupteurs refusent de leur accorder la lumière ! Malgré des manœuvres vingt fois répétées, l’appartement reste dans l’ombre. L’orage a fait sauter le disjoncteur. Il suffit d’enclencher le dispositif.
Celui de l’appartement refuse de fonctionner. Celui du couloir n’est pas en cause. Jean Claude cherche, sans la trouver, la boite aux fusibles et imagine que la panne touche tout l’immeuble. Le voisin consulté affirme que chez lui tout va bien. La voisine, grincheuse du premier jour, vous propose spontanément aide et secours. Vous la remerciez…
Que leur reste-t-il à faire ? Après mille tentatives infructueuses, elle téléphone, Pierrette, à leur loueur qui ne semble pas presser de venir à leur secours. Les opérations décrites ne produisent aucun effet. Face à l’insistance de ces clients, il accepte enfin de se déplacer.
Pour que le disjoncteur accroche, il faut appuyer durement sur ce bouton noir ! Qu’importe alors le petit sourire vaguement condescendant d’Alessio ! La lumière est revenue et la chaleur va arriver. Il s’en va, le plus rapidement possible, sans s’inquiéter un instant de la réussite de leur séjour.
Pendant que Jean Claude va s’occuper de ce curieux étendage et optimiser de son mieux un séchage complet de leur tenue, Véronique et Pierrette partent en ville pour commander le repas de ce soir.
Radiateurs et sèche cheveux ne manqueront pas d’ouvrage, et tu déplaceras souvent les souliers bourrés de papier, les vestes, les chemises et pantalons afin d’exposer le plus efficacement possible la surface la plus humide des victimes de l’orage.
Quand les dames reviendront, les valises pourront être bouclées. Le restaurant qu’elles ont réservé ne manque pas de clients. Les pizzas sont énormes et délicieuses. La toute jeune fille qui est au service, gaie et virevoltante comme un oiseau, accomplit parfaitement sa tâche sous l’œil sévère de la patronne qui ne lui pardonne rien : C’est sa mère !
En guise de pourboire, Pierrette, Véronique, puis Jean Claude, déversent sur la table toutes les pièces jaunes de leur porte monnaie, pas une fortune, tout compte fait ! Pierrette se demande si un tel tas de ferraille peut faire plaisir à une serveuse…
Elle bat des mains et rit de bon cœur. Un rien surpris par cette joie dont ils ne comprennent rien, ils vont avoir l’explication du phénomène. Elle leur montre un grand bocal rempli à ras bord de pièces de menue monnaie. Elle dit qu’avec sa sœur, elles concourent à celle qui en aura le plus. Charmante soirée, charmante demoiselle…

Vendredi 17 mai. Retour au pays.
Pour le retour, rien n’est laissé au hasard. Devant la gare d’où partira l’Alibus dont ils ont soigneusement déterminé l’heure de départ à choisir, ils se présenteront cinq minutes en avance et le bus aura 25 minutes de retard ! Ils peuvent attendre.
Devant eux, dans un décor où les nuages ont disparu, la haute pyramide du volcan se révélera enfin dans toute la majesté d’un empereur couvert d’hermine de la tête au pied. Pendant qu’il était caché sous les nuages, la neige l’a recouvert d’une parure étincelante. C’est magnifique. Une telle apparition peut excuser le retard, et l’attente, l’impatience et l’angoisse de ne pas être à l’heure.
D’ailleurs, c’est sans importance ! Les différents contrôles n’en seront pas moins effectués suivant les méthodes habituelles, toujours autant pointilleuses, pas moins embarrassantes. Les amateurs de café, Véronique et Jean Claude, pourront même déguster leur boisson chaude favorite, qui n’a pas, hélas, en salle d’embarquement, la saveur des extraits italiens.
Avant d’embarquer, leurs bagages iront en soute. L’avion ne dispose plus d’une seule place libre et pourtant, tant chargés et déchargés, ils décolleront, semble-t-il, sans difficultés.
Volant droit sur l’Etna, le commandant de bord annonce à ses passagers : «Préparez vos appareils. Nous nous approchons le plus possible du volcan, puis nous survolerons le cratère !» Merci mon commandant d’une telle audace, audace sans doute renouvelée lors de chaque évasion de l’île. Nous croyons toutefois que pour nous seuls vous l’avez osée. Du cratère, d’ailleurs, une mince fumée blanche vous adresse un dernier salut.
Le voyage sera bref, l’atterrissage réussi. Après récupération des bagages, ils partageront un bref casse croûte, tiré du sac, fait de pain, de fromage, de chocolat, arrosé d’eau. Leur véhicule, sagement garé, les ramènera sans étape à leurs domicile.

Ces neufs jours de soleil ou de pluies torrentielles,
En Sicile au printemps, ne s’ront pas oubliés.
Palerme endormie, beauté confidentielle,
Garde dans des palais son passé cavalier.

J.C. Cardi. Juin 2019.